Depuis maintenant cinq ans, Le Point Virgule a décidé de se délocaliser et de présenter dans ces salles prestigieuses que sont L’Olympia et Bobino « ses coups de cœur de l’année, les humoristes les plus doués de leur génération ».Le cru 2012 n’a rien à envier à ses prédécesseurs. Pierre-Emmanuel Barré, Nicole Ferroni, Fills Monkey, Louis-José Houde, Donel Jack’sman, Bérengère Krieff, Noémie de Lattre, Oldelaf, Benjamin Verrechia, Walter, sont tous d’un très, très bon niveau. Décidément, l’humour francophone se porte bien, très bien. Le public ne s’y trompe pas qui se presse à ce(s) rendez-vous désormais très courus.
Alors que nous a-t-on concocté cette année ? Comment s’est déroulé le spectacle ? Analysons-le dans l’ordre d’entrée en scène des impétrants.Le rideau s’ouvre sur un « pagnorama » collégial, musical et dansé fleurant bon l’exotisme. Ils sont là, tous les onze, témoignant d’un bel esprit de troupe qui ne se démentira plus tout au long de la soirée. Après ce préambule haut en couleurs, c’est Pierre-Emmanuel Barré qui se charge d’annoncer le menu avec son ton si particulier, caustique et un tantinet provocateur. Et nous entrons dans le vif de sujet.
C’est une autre fille qui lui succède, Noémie de Lattre. Elle s’était déjà permis quelques irruptions intempestives pour nous jouer quelques virgules pas très au point, volontairement bien sûr. Dans son premier sketch, elle se glisse dans la peau d’une jeune femme qui accepte un dernier verre à 3 heures du matin. Hélas, elle se retrouve avec un type d’une maniaquerie maladive qui lui pourrit tous ses espoirs d’un sensuel tête-à-tête. L’incompréhension s’installe, la tension monte et le désir part en fumée. Enfin, pas vraiment ; surtout pas en fumée… Dans le second, on retrouve la même jeune femme qui rentre chez elle complètement bourrée (au moins 7,5 sur l’échelle de riche bière) et qui prend ses chats pour confidents. C’est un sketch très subtil sur la solitude, le désert affectif et sur la chasse aux connards… Excellente comédienne !
Retour du présentateur de la soirée, Pierre-Emmanuel Barré, cette fois pour nous présenter son univers. On n’attend pas de ce beau gosse élégant des propos aussi trash. Le contraste n’en est que plus convaincant. Il est délicieusement cynique, se complaît dans le name-dropping féroce (Christophe Maé, Benjamin Biolay, Johnny…), il adore jongler avec le pire (les attentats, la Shoah, les génocides). Quand il cesse d’être subversif, c’est pour jouer les sadiques, allant même jusqu’à élever la pédophilie au rang de joyeux hobby. J’ai adoré ! Je le range dans le même registre grinçant que Gaspard Proust, d’ailleurs présent dans la salle.
Apparaissent alors les Fills Monkey. Eux, c’est du sans paroles. Tout est dans le geste et l’onomatopée. Chacun juché derrière sa batterie, ils se livrent à un vigoureux duel. Ils se narguent, vont dans la surenchère, se prêtent à des situations très visuelles, comme un jeu à quatre mains. Ils troquent leurs baguettes pour des nunchakus, des raquettes de tennis et des battes de base-ball. Ils nous livrent une jolie prestation qui a dû représenter un sacré nombre d’heures de répétitions. Du beau travail.
C’est un Québécois qui lui succède, Louis-José Houde. Facile, chaleureux et sympathique, c’est un conteur né. Avec une écriture très imagée et force détails croustillants, il nous raconte ses vacances gagnées à la Guadeloupe et un coup de soleil astronomique. Il faut le voir sur la longueur d’un spectacle pour voir s’il tient la distance.
Et puis s’avance Walter… Là, j’étais en terrain connu. J’ai vu son spectacle au Point Virgule et j’avais adoré le décalage entre l’image qu’il donne et ce qu’il dit. Walter, c’est le roi de la pirouette, de la chute qui vient après ce qu’on a cru être déjà la chute. Il a l’art consommé de toujours en rajouter une touche. C’est un adepte du double effet « Kiss Cool », voire du triple axel. J’aime sa façon d’être, son flegme très british alors qu’il est Belge. Parfait iconoclaste, il profère les énormités avec une élégance rare. Il a l’effronterie raffinée. C’est vraiment un tout bon.
C’est Donel Jack’sman qui boucle la boucle. Pourtant ce ne doit pas être facile de la lui faire boucler. Quel tchatcheur ! Lui aussi est un habitué de On n’ demande qu’à en rire. On sait qu’il est bon ; il excelle dans le stand-up. Eminemment sympathique, il dit les choses avec un grand sourire, mais il les dit. Et il n’est pas vraiment tiède. Témoin de son temps, il possède beaucoup de recul et un sens aigu de l’analyse. Il n’a pas peur de balayer large, passant de la politique au film X avec la même justesse de vue, la même pertinence.
Et avant que le célèbre rideau rouge de l’Olympia ne se ferme sur cette très agréable soirée, toute la troupe est de nouveau réunie pour se livrer à une chorégraphie trépidante et bien orchestrée avec effets spéciaux à la clé.Le temps d’une soirée, le Point Virgule s’est métamorphosé en point d’exclamation…