Sur la route...

Par Lejournaldeneon


A chacun "sa route"… au moment où ce beatnik de Kerouac fait sa réapparition sur le devant de la scène occidentale grâce à l’objectif de Walter Salles (Central do Brazil, repéré à Sundance et Ours d’or à Berlin en 1998 .) Un « Kerouac » au format numérique pour être tout a fait transportable sur l’ensemble des écrans nomades de la planète.

Jack Kerouac… Le Sale Paradise de 1952 juste après la rédaction de son chef d’œuvre absolu en forme d’un road movie, un des mieux foutu que le monde moderne ait pu inventé pour réussir a tout flanqué par terre de nos amours passagères, l’espace d’une seule lecture assidue. « Sur la route » Pas un de ces pavés à se fader l’été sur la plage dans les odeurs d’ambre solaire et de bains de mer ouatée, mais juste quelques pages génialement hallucinées. Une simple nouvelle en vérité, écrite d’un seul tenant sur le même morceau de papier pressé contre un rouleau de la marque Undewood™ dans une chambre d’étudiant à New-York city au temps du temps qu’on prenait pour s’écrire encore avec des jolie lexies bien choisies. Le détail a son importance bien sûr (même si l’anecdote a été copiée/collée un bon milliard de fois depuis la mise sur le marché du langage « Basic » et de toutes les nouvelles formes d’expressions standardisées qui en découlent depuis). Le détail à son importance, vous disais-je, comme toute précision subsidiaire dans la vie des gens.

Ce bouquin écorné par exemple… Proust dans les doigts de Marylou à la portière de la jolie Hudson 49. «  Swan » comme une vapeur d’alcool récalcitrante dans la profondeur de champ d’une image sublime mais complètement blasée aujourd’hui.  Cette bagnole « nietzschéenne » et sa carrosserie dessinée pour épouser les courbes de la toute jeune mariée en pleine débâcle. Marylou/ Kristen Stewart, même étalée sur l’écran sous une couche de matière binaire plutôt qu’emballée dans une belle bande de celluloïd de chez Kodak™, tant pis ! (Une Marylou, analogique comme du temps des albums concept de Serge Gainsbourg...) Une route comme une génération  entière comprimée à l’intérieur des interstices d’un morceau d’asphalte encore rudimentaire (Burroughs, Ginsberg…) Une route, mais circonscrite à l’univers des paradis artificiels sur la terre d’Aphrodite.

Tout sauf la réalité de ces mondes perdus. Tout sauf cette merde d’organisation permanente qui nous gouverne à présent. La société lamentable « du management », les trusts… les monopoles de la raison obstinée. La multitude des flux imbéciles. Toute cette merde futile obsédée par le fric et la manière de paraitre au lieu d’une paire de bagages à boucler. Tout ce boucan superficiel au lieu d’une belle route aux contours un peu flous dans le tremblement des phares en pleine nuit. Ses jambes à elle dénudées dans la vibration lumineuse du rétroviseur mal vissé à côté du plafonnier. Ses yeux embués et brillants à l’arrière de la mythique Hudson 49 brun et argent aux belles formes arrondies. Marylou sur un fauteuil passager en cuir de la couleur clair pour faire ressortir ses yeux. Une jeune fille de 16 ans comme dans ce procédé d’ensorcellement commit par Nabokov en son temps.  « There are Twenty years to go » (lire : Tweny years to go…) « and Twenty ways to know » psalmodie Brian Molko / Placebo, sur les lecteurs MP3 du monde entier.  De Kerouac à Placebo. De Nabokov à Proust où dans l’ordre inverse… « Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin… ». Une route… cette route-là d’un maitre de littérature hors compétition et celle d’un musicien carrément à fond ce soir-là qui la croise par hasard croyant d’abord lire Flaubert. Ce principe génial de l’osmose/anamorphose qui règle l’esprit des mondes sensibles et qu’on ferait mine d’ignorer dans les écoles prudentes et légitimes de la raison « essentielle ».

Et j’imaginais alors un monde où rien n’aurait jamais plus le goût de ces « madeleines » ; de ces confessions intimes entrelacées qui refont surface dans l’ordre d’un grand chaos jubilatoire. Un monde où cette autre « Lolita », où ce « Dean Moriarty » singulier sous la plume d’un immense écrivain américain, ne serait plus qu’un fond d’écran froid sur un téléphone portable interchangeable. Un monde en promotion constante, allégé de toute passion persistante, où plus rien pour finir n’aurait de goût du tout. Un monde, cette « société du spectacle » où l’on aurait à se lever le matin pour regarder béatement le vide qui nous entoure dorénavant chaque jour comme une mauvaise rangaine. Un monde de fêtes, de noces illusoires… Un monde de réjouissances convertibles et périssables. Un monde sans mélancolie, sans spleen ; un monde sans chagrin léthargique. Pauvre « Dean » ! Pauvre « Sale » !… New-York, Denver, l’Ouest, la Californie et puis le nouveau Mexique… Une route comme un vieux disque pour revenir au point de départ 200 pages plus tard ou à la fin du film. Ce truc d’un moment passé dans le noir avec elle, en lui parlant de sa propre conception des marchands de belles routes à suivre. JLG