Dans un interview réalisé à l’occasion du Salon du Livre (mais passé relativement inaperçu), Laurent Picard, cofondateur de Bookeen annonçait que sa société travaillait actuellement sur une tablette. Une annonce peu surprenante, mais importante pour la société française. En effet, nous avions déjà réfléchi à la stratégie de Bookeen lors de la sortie du reader Odyssey que la marque annonçait comme révolutionnaire grâce à son taux de rafraîchissement.
Les bugs logiciels sont venus ternir les premiers mois d’existence du produit et, en dépit des optimisations de Bookeen, l’Odyssey semblait contraint par son écran E-Ink. Des éléments qui laissaient envisager un appareil de lecture qui soit plus qu’un simple lecteur, proche d’une véritable tablette. « Concernant les tablettes tactiles, oui, nous avons des projets pour un usage complémentaire, et là on parle plutôt de la fin de l’année 2012. » rappelle Laurent Picard dans son interview.
Alors que se passe-t-il dans la tête des équipes de Bookeen ? Comment proposer un produit attractif et suffisamment transverse pour concurrencer à la fois l’iPad et les readers ? En l’état de la technologie, qu’est-on en droit d’attendre de cet appareil pour qu’il soit à la fois un bon lecteur d’ebooks, de magazines et de journaux, mais aussi un appareil permettant la consultation des sites web, l’envoi et la réception de mails par exemple ?
L’exemple Nook
On a récemment vu au travers de hacks parus sur Internet que certains readers pouvaient être fortement améliorés après « root » de leur système d’exploitation. Grâce au passage à une version débridée de Android, ces liseuses se rapprochent toujours plus d’une tablette. C’est le cas du Nook Touch qui fait un carton chez les bidouilleurs qui se servent de la très bonne fréquence de rafraichissement de son écran, probablement l’une des meilleures du marché, pour lui ajouter des fonctionnalités toujours plus étonnantes (cf. notre article).
De ces hacks ressort alors le meilleur d’Android et du reader. L’appareil hybride ainsi obtenu permet de continuer à lire tranquillement des ebooks mais également d’installer des applications de syndication de contenus comme Dropbox, Evernote ou encore de consulter ses mails via l’application Gmail. Les plus distraits apprécieront l’utilisation de Angry Birds (cf. Le Nook Touch se met à Angry Birds).
Mieux encore, l’installation des applications des écosystèmes concurrents devient possible. L’application Kindle pour Android ou Kobo s’installe en quelques clics sur un Nook Touch. Malgré sa capacité de débridage logiciel, le Nook reste un reader avec un écran conçu à de la lecture d’ebook. Difficile d’envisager d’utiliser un tel produit pour naviguer quotidiennement sur le web ou pour y saisir un email.
Un écran plus grand pour une tablette
Pour concevoir une tablette qui allierait le meilleur du monde des readers et de celui des tablettes, il faudrait certainement privilégier un écran plus grand que celui d’une liseuse traditionnelle. Les derniers readers commercialisés sont des 6 pouces (Kobo, Nook, Kindle). Ces appareils sont parfaits pour lire des livres, des dépêches de sites web ou encore des documents remis en forme et dont la maquette importe peu.
Dans le cas de la presse et des magazines, un « form factor » plus grand serait plus flatteur pour les contenus quotidiens ou hebdomadaires tenant à leur maquette. En effet, les professionnels de la presse relèvent très souvent que leurs lecteurs sont attachés à la maquette du journal papier, c’est d’ailleurs l’une de leurs justifications quant à la primauté des offres numériques en PDF (Le Kiosque, GIE ePresse, Relay etc.). Avec un écran plus grand, un 10 pouces, la maquette pourrait être respectée. Il serait ensuite possible évidemment de zoomer sur les articles ou bien de naviguer entre eux au travers d’un menu amélioré.
Quelle technologie d’écran ?
À ce jour, plusieurs technologies d’écran à encre électronique sont disponibles. L’écran électronique, notamment les produits de la société E-Ink, domine le marché des liseuses, mais de nouvelles technologies nouvelles technologies comme PixelQi ou Mirasol émergent progressivement.
L’écran PixelQi combine les avantages de l’écran E-Ink (non émissif et lisible en plein soleil) et ceux d’un écran couleur LCD (affichage de la couleur, de la vidéo etc). Des écrans 10,1 pouces sont aujourd’hui disponibles sur cette technologie, mais peu de fabricants majeurs ont adopté « la voie du pixel » (traduction de « PixelQi »).
Autre technologie novatrice couleur, l’écran Mirasol développé par Qualcomm, mais cantonné pour le moment à des diagonales de 5,7 pouces. Le fonctionnement est différent puisqu’il s’agit ici de la technologie MEM. Malheureusement la faible diagonale des écrans actuels est un obstacle à l’intégration dans une tablette. Mais qu’en sera-t-il dans quelques mois ?
À ce jour, l’écran E-Ink ou la technologie PixelQi paraissent donc les meilleurs choix dans l’optique de la création d’une tablette tactile.
La couche tactile
Autre élément de grande importance pour un appareil portatif de lecture, la surcouche tactile. Là aussi plusieurs technologies se partagent le marché.
Sur les readers Sony, sur le Nook, le Kobo ou encore le Kindle Touch, un système infrarouge disposé autour de l’écran capte les actions de l’utilisateur. La technologie zForce de Neonode fait des merveilles sur une liseuse. Elle permet une utilisation avec tout type d’objet (stylo, stylet, doigt…) à la différence d’autres technologies tactiles.
Chez Bookeen par exemple, le dernier né de la marque, le Cybook Odyssey, utilise une surcouche tactile capacitive. Placée au-dessus de l’écran, c’est une solution moins onéreuse pour le fabricant, mais qui a certains défauts. On peut notamment observer de près un maillage très léger sur l’écran. Autre inconvénient de cette surcouche, elle ne fonctionne qu’avec les doigts ou des gants spéciaux. Ces défauts n’ont pas empêché la technologie capacitive d’être le standard sur les smartphones et les tablettes.
La batterie, élément discriminant
Les readers ont l’avantage d’être plus économes en énergie que les tablettes LCD puisqu’ils offrent des autonomies confortables plusieurs semaines de lecture quotidienne sans recharge. Une tablette à encre électronique apporterait un réel plus face aux tablettes LCD en offrant une autonomie plus proche d’un ereader que d’un iPad.
La taille prise par la batterie ne devrait pas poser trop de souci. Si on regarde de près la taille des batteries des readers actuels, on constate qu’elles sont très petites et permettent, pour des écrans de 6 pouces, des autonomies confortables. En adaptant la taille de la batterie à la taille de l’appareil, on parviendrait donc probablement à obtenir une autonomie considérable qui serait un avantage déterminant face aux tablettes LCD limitées, pour le moment limité, à 10h environ.
Un OS basé sur Android, mais simplifié et allégé
Bien souvent, la puissance et la flexibilité d’usage d’un appareil de lecture résident aussi dans le système d’exploitation retenu. Aux dernières nouvelles, Android semble être l’OS avec le plus de potentiel sur les readers. Afin d’offrir un appareil souple, puissant et transverse à la fois à la tablette et aux readers, Bookeen devrait logiquement se tourner vers une ROM Android tout en travaillant suffisamment dessus pour ne pas trop alourdir l’utilisation, Android restant un OS développé à la base pour des smartphones et des tablettes multimédia.
La 3G, le chainon manquant ?
Quid de la 3G sur un tel appareil ? On peut se poser la question. De prime abord, on peut se dire que cela ne sert pas à grand-chose, de plus en plus de personnes ayant dans la poche un smartphone et donc, potentiellement, un point d’accès Wi-Fi. Pourtant, pour recevoir les publications, journaux ou magazines, consulter ses mails, une connexion en 3G serait un plus, mais une charge non négligeable pour un fabricant.
Rêvons un peu…
La tablette serait dotée d’une connectivité 3G/Wi-Fi pour un accès permanent pour télécharger les livres, journaux et magazines etc. Le tout fonctionnant à l’aide d’Android. Avec des fonctions de prises de notes avancées, l’utilisateur pourra tirer parti des fonctions sociales (Facebook, Twitter et autres) nativement intégrées à Android. Une tablette qui ferait la part belle à la lecture numérique, mais sans faire de concessions sur les fonctions de base d’une tablette (mail, web etc.). Le tout avec une batterie qui continuerait d’offrir une autonomie de plusieurs semaines en lecture d’ebook.
Un tel produit aurait un avantage certain s’il bénéficie d’une offre de contenu, notamment de journaux et d’hebdomadaires français. Moyennant un abonnement d’un an (environ 15 euros par mois) à cette offre numérique, la tablette pourrait être vendue pour une centaine d’euros. Un partenaire comme le GIE ePresse fidélisera son lectorat à l’aide d’un appareil de ce type et maîtrisera toute sa chaîne de valeur.
En résumé
Le cahier des charges est finalement assez simple compte tenu des technologies aujourd’hui à disposition. Plus qu’un rêve de geek, une tablette répondant à toutes ces promesses serait à coup sûr une réussite commerciale. Elle pourrait séduire les amateurs de journaux et de magazines, désireux d’accéder ponctuellement au Web ou à leurs mails sans pour autant vouloir acquérir une tablette LCD qui sacrifie souvent le confort de lecture.
Cette tablette, commercialisée par un quotidien ou un périodique, pourrait devenir un complément de revenus intéressant pour la presse en fidélisant ses lecteurs tout en s’attaquant à une cible souvent oubliée par les offres numériques actuelles. Un produit pour consulter de l’information, sans s’encombre d’une tablette multimédia. Les lecteurs auraient ainsi un terminal de lecture, parfaitement adapté au quotidien pour recevoir tous les jours le fruit de leur abonnement.
Les opérateurs téléphoniques, toujours à la recherche de produits pour fidéliser leurs clients et les inciter à consommer des contenus seraient les premiers intéressés par ce type de produit. On pense notamment à Orange qui, avec son offre Read & Go, ne cible pour le moment que les tablettes LCD, les smartphones et le Web et donc laisse peut-être de côté les lecteurs habitués aux ereaders.
Bookeen a donc raison de réfléchir à une telle tablette, que nous espérons pouvoir tester un de ces jours. Nous l’attendons de pied ferme ainsi que les offres qui lui seront attachées. À suivre.