Impatience

Publié le 06 juin 2012 par Toulouseweb
AF447 : la tension monte.
Le BEA dévoilera le 5 juillet le rapport d’enquête final consacré à l’accident du vol Rio-Paris d’Air France du 1er juin 2009. Un document attendu avec une impatience considérable par la communauté aéronautique toute entière et les familles des 228 victimes. Cet accident revêt, en effet, une importance particulière, non seulement en raison de sa gravité, mais aussi en fonction des nombreuses interrogations qu’il a soulevées.
Au risque de décevoir, sans doute convient-il de noter d’entrée que ce document, dont chaque terme sera indubitablement pesé avec le plus grand soin, n’apportera pas de révélations. Les rapports d’étapes, les propos tenus par la direction du BEA lors de rencontres avec la presse, les analyses d’experts (compétents ou non), les commentaires de tous ordres, ont déjà permis aux uns et aux autres de se faire une idée précise du déroulement des 4 dernières minutes du vol AF447.
L’accident n’a pas dérogé à la règle : il a résulté d’un enchaînement complexe de circonstances, certaines concentrées sur quelques dizaines de secondes, d’autres conduisant à remonter le cours du temps, à examiner les méthodes de formation des équipages, la culture de la sécurité telle que comprise par Air France. C’est de toute évidence le givrage des tubes Pitot de l’A330 qui a constitué le point de départ de la séquence d’événement aux conséquences fatales. D’où notre choix, parmi les innombrables commentaires formulés au fil des mois, d’une remarque cinglante de Christian Roger, commandant de bord retraité qui fut président de la section Air France du syndicat national des pilotes de ligne. Et dans une première vie, pilote de chasse et chef de la Patrouille de France de l’armée de l’Air.
Que dit-il ? Tout simplement qu’on est en droit de s’interroger sur l’incapacité d’un industriel à concevoir un tube Pitot qui fonctionne correctement en conditions givrantes. Cela, ajoute-t-il, 43 ans après les premiers pas de l’homme sur la Lune ! Ainsi va le progrès. Un autre pilote d’expérience, lui aussi issu de l’armée de l’Air avant de rejoindre Air France, nous dit, détails techniques à l’appui, que «la situation n’a pas été aussi simple qu’on veut bien le faire croire ou le laisser croire».
L’heure, nous l’avons dit, est à l’impatience. Et, une fois de plus, les médias, certains médias, en manquent considérablement au point de risquer le dérapage incontrôlé. Ainsi, à Rio, un grand journal quotidien affirme que le Brésil a déjà reçu le rapport du BEA et, brûlant les étapes, se risque à un commentaire sur les défaillances supposées des pilotes d’Air France et des lacunes dans leur formation (1). Ce comportement témoigne, une fois de plus, d’un solide dédain pour la déontologie en même temps qu’il met dans l’embarras les proches de victimes. Lesquels sont ainsi persuadés de l’existence de fuites ou y trouvent des raisons de douter de l’intégrité des enquêteurs français. C’est une situation regrettable.
La réalité est tout autre : aussitôt terminé, tout rapport final est soumis aux autres parties concernées, pour commentaires et compléments éventuels. Lesquels peuvent être insérés dans le texte ou placés en annexe. Bien entendu, à partir du moment où le texte circule, le risque de fuite est réel. Mais tout porte à croire que tel n’est pas le cas à propos de l’AF447, extrapolations et imagination débordante de confrères brésiliens étant plus probables qu’une indiscrétion.
Il est vrai qu’on s’y perd. En témoigne, par ailleurs, cette curieuse déclaration d’Air France publiée il y a quelques jours, consacrée aux «2 ans d’améliorations continues» de la sécurité des vols. Est-ce un message subliminal ? On peut en douter, encore qu’on ne comprenne pas pourquoi la compagnie éprouve soudainement le besoin de réaffirmer noir sur blanc sa volonté de poursuivre «une politique d’amélioration continue de sa sécurité des vols avec pour ambition d’atteindre le plus haut niveau possible, allant au-delà du respect des règles européennes et internationales déjà très strictes».
Finalement, il apparaît que les dommages collatéraux provoqués par l’AF447 sont encore plus graves qu’on ne l’avait cru en un premier temps. A terme, il pourrait aussi en résulter des effets positifs.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(1) G1.globo.com/aciden