Jean-Marc Ayrault a été nommé à la tête du gouvernement, et par voie de conséquence, on l’a compris, Martine Aubry a décidé de ne pas en être. Et ce qui amène à établir certains parallèles, par exemple avec 1981, pour un François Hollande aimant à imiter François Mitterrand, « à se comparer à lui, à poser en François II ». Mais les commentateurs et les communicants le précèdent désormais, et quand il nomme Jean-Marc Ayrault à Matignon, il est vrai, c’est aussitôt le nom de Pierre Mauroy qui vient « sur les lèvres et les plumes », pour reprendre l’analyse récente d’Eric Zemmour.
Parce qu’ils sont ou ont été tous deux, premiers magistrats de deux grandes villes, Nantes pour l’un, et Lille pour l’autre, et qu’ils ont su réveiller leurs belles cités provinciales endormies. Mais cependant, la comparaison s’arrête là. Car Mauroy, le « Rougeot de Lille », ou encore « Gros Quinquin » comme on le surnommait, le froid et massif nordiste, était l’incarnation de cette « gauche des corons et des anciennes cités ouvrières », dont il fit souvent fermer les usines. Tandis qu’Ayrault fut surtout l’élu d’une ville bourgeoise, à l’électorat plutôt « bo-bo » provincial, venue de cette démocratie chrétienne de l’Ouest, passée progressivement à gauche après mai 68. En 1981, Mauroy était récompensé pour avoir donné à Mitterrand les clefs du PS, son « ouvriérisme lyrique » incarnant à la perfection, « la campagne à gauche toute » de 1981. Mitterrand ne finassait pas dans le choix de ses premiers ministres, et quand il fera campagne au centre, en 1988, il désignera Rocard à Matignon.
Mais cependant, en 2012, Ayrault n’aura pas donné le parti, ni le groupe parlementaire à Hollande. Son soit-disant modèle « social-démocrate », un peu à l’allemande, comme on dit pour le flatter, ne résume absolument pas la campagne d’Hollande. Au contraire, une fois sorti vainqueur de la primaire socialiste, Hollande aura infléchi sa campagne à gauche, vers Martine Aubry, ou Arnaud de Montebourg, qui avaient été ses rivaux les plus coriaces (à commencer durant ses années où il fut secrétaire général). Et il est vrai, c’est en cela que même la comparaison avec François Fillon, n’est la plus adéquate, si terne, mais aussi si peu velléitaire et relativement docile, Monsieur Personne, devenu le collaborateur méprisé.
Sous certains abords, en dépit de son allure froide et distante, et de ses prises de position parfois tranchées à l’Assemblée nationale, durant des années, Jean-Marc Ayrault a plus ou moins le même profil, aussi bien sur le plan psychologique, que par son positionnement idéologique, le plaçant en porte-à-faux. Il est vrai également, que François Fillon aura quand même rédigé – en partie -, le programme de Sarkozy de 2007, apportant une légère contribution – de principe -, à la tonitruante et glorieuse campagne d’il y a cinq ans. Mais toujours pour poursuivre sur le champs de la comparaison, pour pousser et reprendre cette analyse zemmourienne, il est vrai qu’un parallèle pourrait également être établi avec le choix d’Alain Juppé, en 1995, dans cette nomination socialiste.
En effet, alors élu sur une campagne pourtant inspirée et largement portée par feu Philippe Séguin, c’est le choix d’Alain Juppé qui s’imposa, le landais glacial et inexpressif, Chirac ne supportant pas le caractère éruptif de Séguin. Il choisira donc Alain Juppé, son fidèle collaborateur – « Droit dans ses bottes » -, pour « convenance personnelle », à la place de la « bête des Vosges ». Il s’était déjà mis à dos, les amis d’Edouard Balladur, après la trahison du « Grand Ballamouchi », l’ami de trente ans, et cela au travers d’une campagne de premier tour sanglante. Martine Aubry, c’est à la fois Balladur et Séguin. Le retrait de la « Mère Tape-Dur » lui permettrait dans quelques mois, d’expliquer que les promesses de campagne n’ont pas été tenues, que le président s’est soumis aux pressions européennes, que c’est justement parce qu’elle est la fille de Jacques Delors, « qu’elle peut affirmer qu’il faut reconstruire l’Europe ».
Alain Juppé paya cher, le reniement de la campagne de 1995, tout comme peut-être Jean-Marc Ayrault, d’ici à quelques mois. Chirac n’avait pas voulu dissoudre l’assemblée nationale, après son élection, car il n’avait pas sa majorité. Il le fit finalement sur l’inspiration de Villepin, en avril 1997, après sa fameuse allocution télévisée. De même, la victoire d’Hollande, plus étriquée qu’il ne l’espérait, risque d’empêcher la rue de Solférino, d’arracher la majorité absolue tant espérée, aux prochaines législatives. Alors viendra peut-être, « le temps des négociations avec les verts, les communistes, les radicaux, voire les centristes de Bayrou ». D’où son choix d’Ayrault, un négociateur, un arrangeur, comme lui, à même d’éviter les affrontements, les conflits, mais aussi au risque de l’immobilisme et finalement des explosions. Pour reprendre cette analyse du caustique Zemmour : « François Hollande est bien ce mélange bizarre, de François Mitterrand à la tribune, et de Jacques Chirac dans les travées ». Comme quoi décidément, en politique, l’Histoire se répète toujours.
J. D.