En 2011, L'Office National du Tourisme Tunisien (ONTT) lance une campagne de communication afin de rassurer les touristes déserteurs français et donc de relancer son activité touristique. Une campagne au ton décalé qui s'inscrit dans un contexte de couvre-feu à Tunis.
En amont de la campagne, un teasing, lancé sur plusieurs supports médiatiques français, comporte plusieurs témoignages filmés de touristes ayant visité la Tunisie après le 14 janvier. Ces touristes rassurants racontent leur voyage et invitent leurs concitoyens à expérimenter la Tunisie à leur tour.
La campagne se déroule en deux temps. Tout d'abord, à partir du 9 mai, des affiches sont apparues dans les stations de métro parisiens et autres journaux. Ensuite, deux semaines plus tard (le 24 mai), des professionnels du tourisme posent sur leur lieu de travail, avec un message adressé aux touristes, pour qu'ils viennent à leur rencontre.
En marge de cette campagne publicitaire, tous les inspecteurs de l'Office National du Tourisme Tunisien ont exploré les villes touristiques afin de préparer, conseiller et sensibiliser les professionnels du métier et donc de proposer des prestations touristiques de qualité. Des conférences de presse, des visites guidées et des évènements mondains, réunissant des personnalités étrangères connues et influentes (notamment Serge Moati, Michel Boujenah, Patrick Bruel), ont eu lieu tout au long de la haute saison.
Le mot d'Habib Ammar, directeur général de l'ONTT : " Lors d'une visite effectuée en France, nous nous sommes réunis avec des journalistes, des personnalités françaises, des leaders d'opinion, pour leur présenter la campagne. La soirée intitulée 'la Nuit du Jasmin' a été une totale réussite ".
Contexte : la révolution du Jasmin (quatre semaines de manifestation non-violentes en décembre 2010 et janvier 2011) a abouti au départ du président de la République de Tunisie, Zine el-Abidine Ben Ali, en poste depuis 1987. De janvier à avril 2011, selon la Banque centrale de Tunisie, le secteur du tourisme a souffert d'une baisse de 41,8% par rapport à la même période de 2010, soit une baisse des recettes de 47,7%. Il existe donc un enjeu majeur pour le pays puisque la Tunisie fait travailler 400 000 personnes selon l'Office National du Tourisme Tunisien.
Toutefois, les autorités et les professionnels demeurent optimistes et le directeur général de l'ONTT déclare : " cette révolution, va permettre au tourisme de se relever, après avoir souffert de longues années de maux structurels. Nous avons multiplié par deux et demi le budget alloué à la promotion du tourisme, soit 60 millions de dinars dont 26 millions seront consacrés à la campagne destinée au marché européen ".
C'est la première fois depuis longtemps, qu'une agence de communication tunisienne réalise une campagne de communication de cette envergure. " Nous avions voulu qu'il y ait l'empreinte tunisienne, nous avons ici beaucoup de talents qui font un travail remarquable ", a confié Habib Ammar. Une commission composée de la Fédération Tunisienne des Agences de Voyages (FTAV), de l'ONTT ainsi que des experts en tourisme, a lancé une consultation, à laquelle six agences de communications tunisiennes ont répondu. Ogvily Tunisie remporte la compétition.
Communication : institutionnelle de crise
Problème : dans un contexte de crise, comment faire découvrir le nouveau visage de la Tunisie ?
Cible : les touristes français. Pourquoi la France ? Parce que c'est le premier client, en nombre de touristes, qui visitent la Tunisie.
Positionnement : la Tunisie n'est pas à feu et à sang. L'image véhiculée par les médias occidentaux est fausse, les touristes peuvent venir vérifier par eux-mêmes.
Promesse : la Tunisie est une destination touristique sans danger et même très accueillante
Message : l'objectif du message est de ridiculiser la peur.
Ton : humoristique
Slogan : A vous de voir
Annonceur : Office National du Tourisme Tunisien - 2011
Agence : Ogvily Tunisie
Direction : Cyrine Cherif
Cette campagne créative ridiculisant la doxa européenne est une belle opération médiatique. L'humour au service du tourisme, dans un tel contexte, a pour but de créer le buzz. La campagne d'affichage tourne en dérision l'appréhension des touristes, après les évènements qui ont secoué la Tunisie.
Si cette campagne a été choisi parmi six autres propositions, c'est justement pour son côté choc. " Cette campagne est en totale rupture avec les campagnes précédentes [...] Des six entreprises qui ont proposé leurs idées sur le thème de la révolution, celles qui accrochent le plus et qui choquent, ont retenu notre attention. Nous devons ridiculiser la peur qui empêche le touriste européen de visiter la Tunisie ", a souligné le directeur de l'ONTT.
Ces visuels racontent différemment la Tunisie. Pour relancer son secteur touristique en berne, quoi de mieux que de jouer sur les clichés de la révolution du Jasmin pour faire un maximum de bruit et encourager les français à se rendre en Tunisie ?
Cette campagne ratée est malvenue. Elle est l'illustration même de l'insolence et du mépris. On ne peut pas rire de tout par respect pour les victimes de cette révolution qui a fait environ 300 morts et 700 blessés. Le buzz permet-il absolument tout ?
Certains sont même choqués que l'on puisse communiquer dans un tel contexte. Vanter une Tunisie "sea, sex and sun" au moment précis où le couvre feu vient d'être réinstauré est intolérable : " Le mauvais slogan, au mauvais moment. Un vrai cauchemar pour un publicitaire. Une campagne de communication commandée par l'Office national du tourisme tunisien vante depuis une semaine, dans nos journaux, le farniente de l'autre côté de la Méditerranée : 'Il paraît qu'en Tunisie, la tension est à son comble', ironise la publicité qui invite les touristes à revenir ' bronzer sur de belles plages de sable fin' ".
Lancer une campagne de communication à 3 millions d'euros au moment où Tunisvit à nouveau sous le couvre-feu, après une semaine de manifestations violemment réprimées par la police et des dizaines de milliers de réfugiés libyens aux frontières, paraît contreproductif et de mauvais goût.
En outre, ce n'est pas la 1 ère tentative de la Tunisie de redorer son blason grâce à un humour douteux. En février, le Ministère du Tourisme et du Commerce Tunisien avait déjà lancé une campagne d'image et de séduction, intitulée " I love tunisia ", et son slogan " The place to be... now ! " sur internet et notamment les réseaux sociaux. Enfin, la dernière erreur aura été le choix de la photo ! Piochée dans une bibliothèque d'images étrangères, la photo choisie représente un terrain de golf aux USA à Portland dans l'état de l'Oregon.
Cette campagne a été mal accueillie par une partie de la population au point d'être parodiée de façon assez virulente :
Le secteur touristique, pesant près de 7 % du PIB et créant 400 000 emplois, est éminemment stratégique pour l'économie du pays. En 2011, la Tunisie avait perdu 500 000 clients français par rapport à 2010, (année record avec le chiffre de 1 400 000 touristes). Cependant, est-ce nécessaire de jouer sur le thème sensible de la sécurité pour faire revenir les touristes français en Tunisie ? Il faut dire que les alternatives sont peu nombreuses. La Tunisie dans ce contexte de crise devait communiquer au risque d'être maladroite. Et puisque l'objectif de la campagne était de créer le buzz, sa mission est réussie. Entant donné la situation des établissements culturels tunisiens, le question qui s'impose est : fallait-il en premier lieu investir dans ce type de communication ?
Un an après sa révolution le tourisme tunisien prépare activement sa relance. En 2011, en pleine crise, le budget alloué à la communication avait doublé par rapport à 2010 (tous marchés confondus). Il est reconduit pour le même montant en 2012 à cette différence près : le budget réservé au marché français a augmenté de 70%.
Voici la dernière campagne publicitaire plus conventionnelle qui mise sur le rapport qualité/prix et les lieux, peu connus mais sublimes, du sud tunisien (Tozeur et Douz) :