Elle est la fille de l’homme qui a hérité par le sang la présidence de mon pays, de ce même pays où mon père a perdu il y a des années sa profession de conducteur de trains. Elle est attachée à chaque mot qu’il prononce, et moi il y a longtemps que j’ai rompu avec la prison de l’opinion, je me suis libérée toute seule du verbe.
Elle a peur des embrassades, d’un Cuba où nous pourrions marcher ensemble toutes les deux, assister sans problème à un concert ou à un débat public, sortir et entrer sans autorisation. Moi je la comprends. Elle porte sur ses épaules une ascendance qu’elle a peut-être souvent envie d’écarter, de refuser, d’effacer de sa vie. Moi je suis seulement une étrangère, une intruse, sans pedigree, sans un arbre généalogique présentable. Mes parents ne se sont pas battus dans la Sierra Madre ; les slogans forgés dans sa famille, étaient systématiquement réfutés dans la mienne ; les discours que prononçait son oncle exalté tombaient dans les oreilles sceptiques de mes parents. Elle a droit aux micros, elle interviewée et louée à la télévision nationale, alors que mon visage appelle seulement les qualificatifs « ennemie », « cyber-terroriste », sans m’offrir –ça c’est clair- de droit de réponse.
Elle a pu faire sa tournée aux Etats Unis et la presse cubaine ne l’a pas traitée de mercenaire. Elle a dit qu’elle « voterait pour Obama » et surprise, la presse nationale ne l’a pas accusée d’être « pro-yankee ». Elle est prisonnière de ses origines et moi je n’ai même pas un passé vers lequel me tourner. Aujourd’hui même je me réveille en pensant au lendemain. Elle et moi, même si elle le refuse et le nie, sommes de ce pays… des filles très différentes, des fruits aimés ou non aimés de cette terre. Il faudra qu’elle reconnaisse que j’existe, que je suis, que cette Sanchez réclame son droit à critiquer les folies de ses moulins à vents.
Traduit par Jean-Claude Marouby