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Le Loup des Steppes, de Hermann Hesse

Par Liss
Le loup des steppes. C'est ainsi que se surnomme le narrateur de ce roman éponyme de Hermann Hesse. Pourquoi donc ? Parce que la réclusion, la solitude dans laquelle il vit, le pousse à se considérer davantage comme un animal, se sentant comme étranger parmi les hommes, au milieu desquels il n'est pas à son aise.
Une présentation de cet être peu ordinaire nous est faite dans la "Préface de l'Editeur", où l'on apprend  que celui-ci aurait fait la connaissance de ce "loup des steppes", le trouvant bizarre, suspect au premier abord, mais sympathique ensuite, lorsqu'il aura appris à le connaître, à comprendre sa solitude. Il aurait reçu en legs de cet être singulier des "carnets", autrement dit un manuscrit qu'il aurait décidé de publier. Evidemment ceci ressemble beaucoup à une mise en scène...
Le Loup des Steppes, de Hermann Hesse
Ce livre fait penser à une autobiographie de l'auteur. On aura remarqué la similitude des initiales entre Hermann Hesse, l'auteur, et Harry Haller, le personnage se désignant par "le loup des steppes". C'est un livre qui se construit sur le dédoublement de l'auteur, sur une mise en abyme de celui-ci, on pourrait aussi parler de construction en miroir, car de même que le lecteur est accueilli par une "préface" qui l'avertit du contenu de l'oeuvre, de même le personnage, Harry Haller, rencontre fortuitement un passant qui lui remet une brochure, un traité sur "Le loup des steppes", qui le décrit parfaitement. Vers le milieu du livre, c'est une jeune femme qu'il rencontre et qui, curieusement, le comprend sans qu'il n'ait à s'expliquer. Elle s'appelle Hermine, déformation de "Hermann" (comme l'auteur), ami d'enfance de Harry. Hermine apparaît comme le pendant féminin de Harry...
Le loup des steppes a en horreur les choses insipides, il ne peut pas se contenter de se laisser vivre, de voir simplement un jour se succéder à un autre, sans que celui-ci ne soit agrémenté par des événements qui lui donnent véritablement le sentiment de mordre dans l'existence, ces "journées passables où l'on courbe l'échine, où ni la douleur ni la joie n'osent élever la voix" ne sont vraiment pas faites pour lui, il préfère largement "à cette température moyenne et saine la morsure d'une douleur intérieure cuisante, proprement infernale". (p. 43) Notre personnage est-il un masochiste ? Loin de là !
Il apprécie la bonne compagnie, les conversations enrichissantes, surtout la jouissance que procure à l'esprit une belle oeuvre artistique, qu'elle soit musicale, littéraire ou plastique... Mais tous ces plaisirs, ceux de l'esprit comme ceux du corps, ne peuvent pas le distraire longtemps d'une réalité inquiétante : le monde va mal. Le monde fait la fête, rit, alors même qu'il est assis sur une poudrière. Mais il est le seul à s'en inquiéter, et c'est lui qui passe pour un "fou", parce qu'il ne va pas dans le sens de la majorité. Ce que pense la majorité, c'est que des gens comme Harry Haller, "pacifiste pendant la guerre", incitant les gens "au calme, à la patience, à l'humanité et à l'autocritique", s'opposant à "l'agitation nationaliste"... Eh bien ces gens-là ont des "conceptions sentimentales sur l'humanité et non une volonté guerrière de vengeance contre l'ennemi héréditaire." (page 173 pour tous les passages cités).
Il faut replacer le livre dans son contexte : nous sommes dans l'entre-deux guerres. Harry Haller, personnage porte-parole de l'auteur, sent que son pays, l'Allemagne, s'achemine avec allégresse vers une autre guerre. Il fait partie des rares intellectuels qui ont osé exprimé leur désaccord, qui ont dénoncé la propagande nazie, mais c'est pour se retrouver isolé, lynché dans la presse, rejeté par tous. Dans une telle situation, ce visionnaire, comme l'Albatroc incompris de Baudelaire, ne se sent plus à sa place dans cette société qui se targue de sa culture, de son avancée intellectuelle, mais qui n'est pas capable de réaliser que l'humanité est en péril. Voici comment le narrateur parle de ses compatriotes :
Chaque jour, on les travaille, on les exhorte, on excite leur haine, on fait d'eux des êtres insatisfaits et méchants. Le but et le terme de cette entreprise sont une fois de plus la guerre : celle qui approche, celle qui vient, et qui sera sans doute plus hideuse encore que la précédente. Chaque homme pourrait le comprendre, pourrait aboutir à la même conclusion, s'il se donnait simplement la peine de réfléchir une heure. Mais personne n'en a la volonté ; personne ne veut éviter la prochaine guerre ; personne ne veut épargner à soi-même et à ses enfants le prochain massacre de millions d'hommes, si c'est au prix d'un tel effort. Réfléchir une heure ; rentrer en soi-même pendant un moment et se demander quelle part on prend personnellement au règne du désordre et de la méchanceté dans le monde, quel est le poids de notre responsabilité ; cela, vois-tu, personne n'en a envie. [...] Depuis que j'en ai pris conscience, je me sens paralysé et désespéré. Je n'ai plus ni "patrie" ni idéal. (p. 174-175)
On comprend alors pourquoi le narrateur abhorre "l'univers des hommes et leur prétendue culture qui apparaissent à chaque seconde dans leur splendeur de pacotille, mensongère et vulgaire..." (p. 42), pourquoi il est tenté par le suicide.
L'oeuvre a un attrait particulier à partir de l'introduction de nouveaux personnages comme Hermine, Maria ou Pablo avec qui le narrateur échange sur la musique, par exemple sur la hiérarchie qui existerait ou n'existerait pas entre les différentes musiques du monde : le jazz serait-il une musique "inférieure" ? Le narrateur place Mozart au-dessus de tout. 
Cette oeuvre d'Hermann Hesse a une dimension allégorique, philosophique, théâtrale qui ne plairont peut-être pas à tous, mais qui lui confèrent toute sa profondeur.
Hermann Hesse, Le Loup des steppes, Calmann-Lévy, collection Le Livre de Poche, 2004 pour la traduction française,  320 pages. 1927 pour l'édition originale sous le titre Der Steppenwolf, sous-titré Erzälung.

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