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UN MAUPASSANT, EN PASSANT (tome 4)

Par Dubruel

ENRAGÉE

Tu me demandes de te raconter

Mon voyage de noce.

Comment veux-tu que j’ose ?

Enfin, bon.

La voiture nous attendait

Après la collation

Lorsqu’on tira ma robe tout à coup.

C’était mon petit chien Bijou.

Lui aussi voulait me dire au revoir.

(Je l’avais délaissé depuis la veille au soir !)

Je l’ai embrassé,

Couvert de baisers.

Il était comme un fou.

Et moi, je savourais ce plaisir si doux.

Il remuait ses pattes dans tous les sens.

Il léchait,

Il mordillait,

Il semblait en transe !

Soudain, il m’a mordu le nez

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Il me fit mal, l’effronté !

J’ai même saigné.

Mon mari accourut pour me soigner.

Les invités se montraient désolés.

Le sang s’étant arrêté de couler,

Nous sommes partis

Comme prévu pour la Normandie.

Dans notre chambre à coucher,

Je me sentis gênée.

Je fis passer mon mari dans le cabinet

De toilette, me déshabillai et me couchai.

Il a cru que je me moquais de lui.

Mais la terreur m’avait saisie.

Dans ces moments-là,

On ne raisonne pas.

On devient folle. Je me débattais,

Repoussais mon mari, épouvantée.

C’estcet instant

Qu’il choisit pour me révéler soigneusement

Le secret que l’on cache aux jeunes filles.

Le lendemain, en arrivant à Trouville,

Nous avons trouvé les baigneurs en émoi.

Je ne savais pas pourquoi.

Nous devions apprendre par le gardien

De l’hôtel où on logeait

Qu’une femme mordue par un chien

Venait de mourir enragée.

Quand j’entendis raconter cela,

Un frisson me parcourut le dos, les bras

Et les jambes. Je souffrais dans le nez.

Je ne dormis pas de la nuit.

J’avais complètement oublié mon mari.

Moi aussi, j’allais mourir enragée.

Je m’enfermai

Pour regarder ma plaie.

On ne la voyait plus et pourtant

Elle me faisait un mal effrayant.

J’écrivais à mes parents

Pour savoir si Bijou n’était pas souffrant.

Ils ont dû me trouver un peu dérangée !

Le lendemain, je n’ai rien pu manger

Mais je refusai de voir un médecin.

À tout instant, je portais la main

À mon nez pour le tâter.

Ma nuit fut horriblement agitée.

Mon mari en profita !

Ma mère ne me répondant pas,

Je lui envoyais dans l’après-midi

Un télégraphe : « Bijou est-il bien en vie ? »

J’étais perdue. J’avais la rage,

L’horrible rage.

La nuit suivante, je n’ai pu rester au lit

Après quelques heures de répit,

Une nouvelle crise me saisit.

Je poussais d’effroyables cris.

J’avais envie de mordre. Je hurlais.

J’attendais la mort. J’y étais résignée.

Deux jours après,

Mes missives l’ayant effrayée,

Maman arrivait à notre hôtel d’Étretat.

Elle tenait un grand panier. Je l’ouvris.

Bijou sauta sur le lit !

Tu ne me croiras pas.

Ce n’est que le lendemain que j’ai compris.

Oh !, l’imagination, ma chérie,

Comme ça travaille. Et penser que j’ai cru…

Et songe aussi : si mon mari l’avait su !...


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