La marquise décide de passer une annonce dans les journaux locaux pour que le père de l’enfant qu’elle porte se fasse connaître.
Au retour de l’officier russe, le frère de la marquise l’informe de ce qui s’est passé en son absence. L’officier décide d’aller retrouver la marquise à V … Il réitère sa demande en mariage car il déclare être sûr de son innocence, mais il essuie une nouvelle fin de non recevoir. Le frère de la marquise lui montre alors le journal où est parue l’annonce.
Ultérieurement, une réponse à l’annonce paraît dans le même journal, rendez-vous est donné à la marquise chez le gouverneur : « Celui qu’elle cherche y sera pour se jeter à ses pieds ». Le gouverneur croit à une manipulation de sa fille et de son amant destinée à le berner. Sa femme essaie en vain de la piéger avant la réconciliation du père et de la fille :
« Or donc, le jour suivant, dès le matin, se posa la question : qui pourrait bien, grand Dieu! se présenter le lendemain à onze heures? Car le lendemain, c’était le 3 tant redouté. Le père et la mère, le frère qui les avait rejoints, réconcilié lui aussi, étaient d’accord sans réserves pour le mariage, pour peu que la personne fût de condition acceptable. Tout ce qu’il y avait de possibilité au monde devait être fait afin d’assurer à la marquise une situation heureuse. »
Afin de donner aux étudiants, mais aussi aux lecteurs de ce blog, l’envie de lire cette nouvelle et surtout son dénouement, je ne raconterai pas la fin du récit, disponible de toute façon en édition de poche (La Marquise d’O …, GF-Flammarion, 5 € 80 ou La marquise d’O … et autres nouvelles, Phébus-Libretto, 8 € 38).
Conclusion
Ce qui m’a intéressé dans cette œuvre c’est d’abord son contexte militaire. C’est une scène de la vie militaire, un épisode de la guerre pendant l’épopée napoléonienne. Il est difficile de ne pas penser à Stendhal et en particulier à La Chartreuse de Parme (1839), roman dans lequel Fabrice del Dongo regarde l’Histoire se dérouler devant ses yeux, il est extérieur à la bataille de Waterloo, et Stendhal se moque de son héros tandis que le lecteur en est quelque peu frustré.
Ensuite, ce texte revêt un caractère romanesque très marqué, on y voit successivement :
- une citadelle prise d’assaut,
- une jeune femme échapper à un viol collectif,
- ses cinq agresseurs être fusillés,
- la jeune femme tomber enceinte sans que l’on sache des œuvres de qui,
- l’officier qui l’a sauvée du viol, mourir, ressusciter, et réapparaître pour demander avec insistance sa main ; il exige une réponse immédiate,
- la jeune femme faire passer une annonce dans une gazette pour retrouver le père de l’enfant.
Cela pourrait paraître extravagant, le ton est parfois emphatique (le mélodrame n’est pas loin) mais c’est oublier que Kleist est avant tout un dramaturge, il aime les rebondissements, le retour à la vie de l’officier russe est une sorte de deus ex machina.
Mais ce qui me semble le plus intéressant dans La marquise d’O … ce sont les références chrétiennes.
Comment interpréter cette nouvelle?
La marquise a reçu la visite “d’un ange du ciel”, c’est l’Annonciation quand l’ange Gabriel annonce à la vierge Marie qu’elle mettra un enfant au monde. La marquise ayant perdu connaissance se retrouve mystérieusement enceinte, on peut y voir une allusion au mystère de l’Immaculée Conception, d’ailleurs la référence à la sainte-Vierge est explicite dans la nouvelle.
L’œuvre de Kleist est marquée au sceau de la chute, « L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux » écrira Lamartine, et du péché originel : après la chute se pose la question de la Rédemption, faut-il la voir dans l’insistance de l’officier à épouser très vite la marquise pour sauver son honneur de femme et de mère?
Si l’on tente un éclairage psychanalytique de cette nouvelle, on ne peut être que frappé d’apprendre que Kleist a écrit un épigramme intitulé La Marquise d’O … :
« Ce roman n’est pas pour toi, ma fille! Evanouie!
Quelle farce éhontée! Elle a seulement fermé les yeux, je le sais »
Epigramme très étonnant car il casse le moule romanesque de la nouvelle! Si la marquise a simulé son évanouissement (je dirai que derrière le visage avenant de toute jeune femme se dissimule une actrice) cela change tout! Et c’est là qu’intervient le concept freudien d’inconscient.
L’état d’inconscience supposé dans lequel se trouve la marquise au moment du viol ne servirait-il qu’à permettre à l’inconscient de satisfaire un désir refoulé? C’est au lecteur qu’il appartient de répondre à cette interrogation ; cette problématique est au cœur de la nouvelle, comme l’est l’opposition entre vérité et invraisemblance.