Sans qu'elle ait pu vraiment savoir qui il était.
Elle s'est retournée, sursautant.
A ce moment-là, elle était accoudée au balcon. Elle scrutait loin devant elle, par-dessus les toits noirs qui brillaient de la pluie d'automne. Les volutes de sa cigarette qui se consumait lentement entre ses doigts, très lentement, lui faisaient comme un écran entre elle et ce monde auquel elle ne se sentait plus appartenir. Là-bas, au-delà de la cime de ces grands platanes, elle pouvait encore apercevoir un bout du bonheur qu'il avait avec elle, ombres fantasmatiques la narguant derrière les fenêtres closes depuis longtemps déjà.
Elle s'est retournée et a espéré, que c'était lui, qu'il reviendrait, qu'il avait oublié que, qu'il la prendrait dans ses bras, qu'elle pleurerait doucement sur son épaule, qu'il dirait : " plus jamais ", " plus jamais je ne ", " plus jamais je ne te quitterai ". Qu'il la coucherait là, à même le balcon, sous la pluie de novembre, et la prendrait si violemment, si violemment qu'elle en crierait, oubliant les " salauds ", oubliant les " va te faire ", oubliant les " tu m'avais dit que ", oubliant.
Et là-bas, à peine à une portée de révolver, l'autre les verrait. L'autre saurait.
Elle s'est retournée et n'a vu que la porte fermée par le vent d'hiver, le mensonge qui s'appesantissait dans le silence de son appartement si vide, la rancœur des jours passés à attendre que la porte s'ouvre à nouveau, la jalousie lui tordant l'estomac, jour et nuit, qui l'habitait comme un animal terré et cruel. Le manque de lui aussi, oui, le manque de lui.
Elle a baissé les yeux sur le marbre froid et taché de ses larmes, s'est penchée un peu plus au balcon, a vu les fourmis qui s'agitaient un peu plus bas, si bas, sur l'asphalte détrempé.
Alors elle a voulu aspirer une bouffée de sa cigarette consumée jusqu'au dernier soupir du filtre, a grimacé, puis posé ses doigts déjà brûlants sur la rambarde, et d'une pichenette a jeté son mégot, au hasard du vent qui avait claqué sa porte.