Ce texte sert d'introduction à une série consacrée aux chasseurs /collecteurs, dont les BUSHMEN/SAN.
NB : les signes phonétiques,/ ou //correspondent aux clics des langues KHOISANS.
Aujourd'hui, les populations désignées sous le terme Bushmen(terme désormais abandonné et remplacé par celui de SAN) totalisent environ 90 000 individus, qui se répartissent principalement en Namibie (32 000) et au Botswana (47 675), avec quelques groupes en Afrique du sud (4 350), au Zimbabwe (2500), en Angola (1 200) et en Zambie (300).
A l'instar des aborigènes d'Australie ils ont été et sont encore rejetés et marginalisés . Au Bostwana notamment, ils subissent la discrimination et l'ostracisme de la société malgré ou à cause du programme de sédentarisation lancé par le gouvernement et des concessions diamantifères.. Relogés dans des camps misérables ou bien vivant dans les ranchs dans lesquels ils travaillent.(cliquer sur l'alerte de Survival International).
L'un des éléments généralement retenus pour établir une certaine cohérence de l'ensemble bushman (qui comporte en fait de très nombres groupes divers ) est le regroupement des langues au sein de la famille khoisan. Celle ci se caractérise par la présence de clics, phonèmes produits par frappement de la langue en des positions précises du palais. Quelques langues bantoues d'Afrique australe (xhosa, zoulou, ndebele intègrent également des clics, En outre, les Bushmen ne sont pas les seuls locuteurs de langues khoisan : les Khoi en parlent certaines. Ainsi, le nama est-il commun aux Khoi Nama et Damara et aux Bushmen Haillom, bien qu'il soit réalisé sous différentes formes dialectales.
La famille khoisan comprend une vingtaine de langues .Les sous-familles khoe et non khoe comptent chacune plusieurs langues qui, elles-mêmes, se déclinent en dialectes parfois suffisamment différenciés les uns des autres pour qu'il n'y ait pas intercompréhension.
Dès 1655, trois ans seulement après que la Dutch East Company eût établi un relais au Cap, J. Wintervogel devait le premier faire mention des Bushmen, les décrivant comme « une certaine tribu d'hommes de petite taille, très minces, complètement sauvages, dépourvus de huttes, de bétail ou d'autres biens, vêtus de peaux de petits animaux ». Ces paroles méprisantes annonçaient déjà leur destin. Elles sont en effet caractéristiques de la façon arrogante dont ces peuples furent perçus, presque immédiatement, par les premiers colons blancs d'Afrique du Sud.
En 1874, le Times profitait de l'Exposition bushman à Londres pour publier un rapport qui respirait l'idéologie de l'époque : « Leur aspect diffère peu de celui de la tribu des singes. Ils sont sans cesse accroupis, à se chauffer près du feu, à jacasser, grogner, fumer, etc. Ils sont maussades, silencieux, de simples animaux sauvages par leurs tendances, et pire que des animaux par leur aspect. » D'autres observateurs européens du XIXe siècle allèrent même plus loin, déniant aux Bushmen l'ombre d'une parenté avec le genre humain, parlant d'eux comme de « ce très laid spécimen de la race humaine », décrivant leurs enfants comme « tout à fait répugnants », semblables à «des crapauds jaunes d'une taille supérieure à l'ordinaire ... leur visage, leurs gestes rappelant très exactement la physionomie du petit singe bleu de Cafrerie ».
De toute évidence, un peuple que l'on décrivait comme infra-humain , semblait par définition justifier le processus historique de sa propre extermination qui débuta au milieu du XVIIe siècle, peu de temps après l'arrivée au Cap des colons européens. Au cours des vingt siècles précédents, un peuple comme celui des /Xam s'était déjà trouvé engagé dans des escarmouches l'opposant aux tribus voisines des Khoi, (ou Hottentots) ainsi qu'à d'autres envahisseurs noirs pénétrant dans la région africaine du sud du Limpopo. Cependant, l'importance de ces conflits paraît maintenant insignifiante, au regard de la catastrophe qui se produisit quand les colons commencèrent leur migration vers l'intérieur de la région du Cap, patrie ancestrale des /Xam. Cette expansion, gagnant en importance après 1740, devait instituer un état de guerre quasi permanent entre le colon blanc et le Bushman, guerre qui devait se prolonger plus de cent ans. C'est un des épisodes le moins connu et le plus honteux de toute l'histoire de l'Afrique du Sud.
Dès 1785, un Européen en visite au Cap pouvait écrire :
« Si un colon aperçoit par hasard un Boshieman, il prend feu immédiatement, excite son cheval et ses chiens pour le prendre en chasse avec plus d'ardeur et de fureur qu'il ne le ferait d'une bête sauvage…. Ils cernèrent l'endroit pendant la nuit, surveillant les feux des Bushmen. À l'aube commença la fusillade, qui continua jusqu'à ce que le soleil fût un peu plus haut. Les hommes du commando chargeaient et tiraient et rechargeaient. Un grand nombre (de femmes et d'enfants) furent tués ce jour-là. Les hommes étaient absents. Seuls quelques petits enfants en réchappèrent, et furent répartis parmi les membres du commando.
Vers le début du XIXe siècle, leur sort avait encore empiré, leur nombre diminué, leur univers rétréci jusqu'à se limiter à cette région inhospitalière frappée de sécheresse, le Cap-Nord, qu'on appelait Bushmanland. Pire encore, ce territoire commençait à être envahi par d'autres groupes indigènes fuyant aussi devant les colons blancs, non moins désireux d'usurper la terre abandonnée aux /Xam, et de participer à leur massacre. Vers le milieu du siècle, louis Anthing, magistrat de la région voulut attirer l'attention sur le sort des denier survivants (environ 500)dans un rapport qui lui couta son poste .
«Si l'on ne fait rien pour leur fournir des moyens de subsistance, ils ne peuvent que vivre de rapt ou périr…« Ceux des Bushmen qui entrèrent au service des nouveaux venus ne trouvèrent pas pour autant leur condition améliorée. Les mauvais traitements, la nourriture insuffisante et les violences continuelles exercées sur leurs proches, les chassèrent à nouveau dans le maquis, d'où la faim les obligea à s'attaquer aux troupeaux de moutons et de bovins des envahisseurs, sans prendre garde aux conséquences, préférant se faire tuer plutôt que de mourir de faim.
« L'idée qu'à la mort d'un homme la pluie se met à tomber, emplissant l'empreinte de ses pas (comme si celle-ci était encore vivante), effaçant ainsi toute trace de sa présence sur terre
… « C'est précisément la connaissance que j'ai de cette histoire -histoire de malheur dont les Blancs sont les premiers responsables - qui m'a dicté ces traductions. En les présentant ici, je ne revendique pour moi aucun rôle politique. Aucun recueil de poèmes ne pourrait redresser, dans la mesure la plus infime, une injustice historique aussi totale, aussi irrémédiable que celle dont ont souffert les /Xam. Mais pourtant, que les pages qui suivent évoquent cette imagerie étrange et merveilleuse du soleil, de la lune et des étoiles, qui paraissent et reparaissent dans les divers mythes de la création, ou qu'elles racontent la brutalité de la mort de Ruyter sous les coups de son maître blanc, j'ai l'espoir d'y faire entendre en écho toute l'importance de la présence des /Xam sur notre terre ». STEPHEN WATSON.op.cité..
Tout au long de l'histoire humaine, la capacité mentale à recréer symboliquement des situations pour les transmettre, et à expliquer leur intérêt et leur valeur, et ainsi produire du sens a joué un rôle considérable. Les systèmes symboliques méritent donc d'être appréhendés non comme une activité esthétique superflue mais comme véhiculant des traits de la vie réelle dans un environnement particulier.En d'autres termes, apprendre, stocker et à communiquer des informations liées à la survie dans l'ancien contexte de chasse et de collecte a produit un héritage empli d'imagination dans les formes expressives bushmen. Cet héritage est fortement marqué par des comportements vis-à-vis du travail, de la vie sociale et du monde surnaturel, alors adaptés au milieu de chasse et de collecte.Il est important de noter que cette transmission d'informations verbales est généralement accomplie indirectement. Encore aujourd'hui, les Bushmen qu'ils soient jeunes ou vieux, acquièrent toutes sortes de savoir par l'écoute d'une histoire dramatique rapportant des événements factuels plutôt que directement, dans un environnement d'apprentissage didactique.
« Quand un homme meurt
la pluie tombe aussitôt,-
emplissant, effaçant ses empreintes de vie,
emplissant les creux
des empreintes du mort
pour que les pas eux-mêmes
disparaissent aussi.
Quand nous l'avons mis dans la terre,
descendu dans la tombe,
la pluie vient laver
le creux de ses pas ;
toute trace est effacée
de sa piste familière.
Avant même
que nous ayons couvert
sa tombe de branches, a
vant que nous ayons tassé des pierres sur les branches
(ainsi les branches mêmes ne resteront pas nues),
alors tombe la pluie
emplissant ses empreintes ;
la pluie alors efface
les pas qui furent les siens,
l'eau de pluie détruit
ce que nous savions de lui,
la pluie
emplit les pas d'un mort. »
« Soleil, lune, étoiles
Le soleil est en bas
il sort des montagnes.
Puis il est là-haut
au-dessus de nous. Vienne le matin,
le soleil va encore
traverser le grand ciel.
La lune, lune du chasseur sortira de la montagne ;
elle aussi va marcher, croître,
et décroître à travers le grand ciel.
Nous attendons l'étoile,
après eux elle viendra, sortira des montagnes
elle va monter comme eux, rapide,
monter, marcher à grands pas dans le ciel.
Au ciel il y a beaucoup d'étoiles ;
il y a des tribus entières, des hommes, des femmes, des enfants,
depuis longtemps devenus étoiles.
Et maintenant la femme étoile,
Voyez-la se lever,
elle revient comme une mère
conduisant son enfant étoile,
et l'homme étoile la suit,
son enfant étoile court derrière lui.
Si le soleil reste en bas longtemps,
si la jeune lune est couchée,
l'étoile mère reviendra,
elle sortira de la montagne
toujours conduisant son enfant étoile,
même si, comme vous voyez,
il s'échappe pour un instant,
plonge un court instant dans un nuage. »
Les étoiles se retournent, blanches, en approchant de l'aube.
Toujours elles se retournent quand elles vont chercher l'aube.
Files sont là dans le ciel, pâles sur l'horizon ;
elles s'arrêtent un instant, blancs visages en attente,
avant de repartir, suivant la trace des étoiles,
la piste que suivent toutes les étoiles jusqu'à leur coucher.
Ma mère nous disait : « Une enfant les a ainsi faites ;
la fille du Premier Peuple, dans sa case menstruelle,
fâchée contre sa mère, ayant faim de racines,
un jour s'était levée, avait empli ses mains de cendres,
les avait lancées vers le ciel et leur avait commandé :
« Ô vous cendres de bois que j'ai eues dans mes mains,
soyez ce que j'ordonne et devenez Voie lactée.
Vous serez là comme un arc blanc à entourer le ciel,
blanches comme la cendre de bois, séparées des autres étoiles.
Vous étiez cendres, et vous deviendrez Toi, Voie lactée,
tournant avec les étoiles ; et les étoiles autour de toi
devront courir comme les autres, se retourner et repartir ! »
Ainsi les étoiles se retournent quand elles vont chercher l'aube.
La Voie lactée qui s'étend là-haut doit toujours revenir
à l'endroit où l'enfant avait jeté les cendres.
Et depuis ce temps-là, comme elle l'avait voulu,
le ciel est resté là ; mais devant lui se mouvaient les étoiles,
marchant vers leur couchant, suivant la marche du soleil.
-Iles voguaient en silence dans le silence immobile du ciel,
suivant toujours leur course, se retournant à l'aube,
blanchissant à chaque aube au lever du soleil.
Depuis que cette enfant, première fille du Premier Peuple
a ramassé la cendre et l'a lancée là-haut,
la Voie lactée doit revenir, pâle au soleil levant,
la voie lactée doit s'élever comme un arc blanc et traverser
le ciel.
Quand commence la nuit, que rougeoient les autres étoiles,
tout son arc reste blanc, et son rayonnement pâle
éclaire et guide dans la nuit la marche des étoiles.
Cette enfant courroucée, cette enfant affamée
créa la Voie lactée d'une poignée de cendres.
Ainsi nous, peuples de la terre, pouvons sortir dans la nui noire,
car notre route luit devant nous, l'ombre ne la couvre plus.
, À ceux qui comme nous rentrent chez eux au clair de| étoiles,
guidés par ces étoiles, leur blanche clarté tout là-haut,
nous savons qu'elle a voulu donner cette pâle lumière,
elle a fait luire la Voie lactée plus blanche que la cendre de bois,
elle l'a fait pour nous, peuples à venir, cheminant dans la nuit.
NB. Stephen Watson a préféré transcrire les termes cosmologiques dans notre propre vocabulaire sidéral.