Sans élément de contexte, cette phrase est bien entendu absurde car elle désigne la grande majorité de célibataires ou simplement de personnes âgées qui vivent seules, sans parents ou petits enfants attentionnés comme l’est Jean-Victor Meyers avec sa grand-mère. Non, je parle des gens qui travaillent dans une entreprise qui met à leur disposition, un restaurant d’entreprise. Ah le restaurant d’entreprise, dont l’action sur les salariés a un impact de 11h du matin à 17h.
A 11h, tout salarié bien implanté dans sa boîte connait par cœur le lien intranet qui conduit au menu de la cantoche. Mais ça c’était dans mon ancienne boite. Dans ma nouvelle (oui, je dis toujours nouvelle alors ça fait deux ans qu’on se côtoie, elle et moi), ce lien n’existe pas. Il faut attendre son passage à la cantine pour découvrir ce que les chefs ont préparé de beau.A 17h, le salarié a tout juste fini sa digestion du couscous provençal ou de la brouillade d’œufs à la sauce tomate. Ces plats ont toujours chamboulé ma digestion et sachez bien que cela n’est pas simple dans un open space silencieux (oui, car là est le paradoxe de cette actuelle-nouvelle boîte : je travaille dans un open-space où personne ne bronche)(et en plus, je ne parle pas que de moi).
Mais revenons sur cette idée de solitude à l’heure du dej, sorte de crime que l’on s’inflige à soi-même… selon les petites bandes de la cantoche, incapables de bouffer seules.
Une petite bande.
Quand j’ai rejoint cette organisation (c’est un mot scientifique pour désigner une entreprise, vous l’entendrez dans la bouche de ceux qui s’estiment être des castor-seniors des RH. Moi, je l’utilise pour éviter la répétition, vieille astuce de sioux pour ne pas lasser son lecteur), je n’avais pas trop de copains. Ce qui est différent aujourd’hui est que je m’en fiche, car je n’en ai pas plus. Alors, quand j’avais faim, j’allais à la cantine pour manger, logique. Sauf que là, tu vis une expérience de discrimination jamais envisagée par toi, qui est si ouverte d’esprit : oui, c’est bien des pieds à la tête que l’on te reluque, sur ta table, devant ton plateau d’aliments industriels trop salés. Car oui, en France aujourd’hui, si tu manges seul à la cantine, c’est que tu es un looser. Surprise, je me suis donc amusée à étudier ces personnes qui mangent seules, et qui luttent contre le diktat de la bouffe collective entreprise. Si elles ne luttent pas, c’est qu’elles n’ont pas le choix et ça c’est bien dommage.
1°) Le nouveau : il ne connait personne et son équipe est trop débordée pour l’accompagner bouffer. Il est donc attablé à l’heure où tout le monde est là car il n’a encore rien compris de sa boite. 2°) Le moins nouveau : ça fait quelques semaines qu’il est là, et son équipe qui le voir partir et revenir de dej tous les jours pense qu’il a des copains et ne pense donc plus à lui proposer de manger avec elle. Il est donc seul, encore, mais comme il supporte de moins en moins le regard des autres qui ont, eux, des copains, il mange très tôt ou très tard. Quand il mange très tôt, il crève la dalle à 16h30, il file s’acheter un Kinder Bueno à distributeur, il grossit, il n’a pas d’amis, c’est la merde. Quand il mange très tard, il violente son corps quotidiennement avec un taux de glycémie qui chute à vue d’œil entre 11h et 13h30. Il risque sa vie souvent.3°) L’habitué : en fait, celle ou celui qui est dans la boite depuis longtemps sait bien ce que l’on dit dans le dos des personnes qui mangent seules : la loose, pas de copains, pas de réseau, il va jamais progresser dans la boite. L’habitué (de la boite en fait) préfère ne pas aller à la cantine et croquer un sandwich devant son écran, faisant mine d’être débordé. Alors qu’il est en réalité soulé de ce diktat et qu’il estime que pour progresser dans une entreprise, il suffit d’être intelligent (mais là, il a tort, mais ne se l’avoue pas encore).4°) Celui qui commence à bien s’en foutre : c’est celui qui mange seul, avec 20minutes, dans une cantine qui redevient vivable, car les petites bandes sont maintenant à la machine à café. A ce moment du dej, d’une part, tu as le temps de parler avec les « serveurs » (comment appelle-t-on ces gens qui se cachent derrière des petites toques en papier, qui leur tombent systématiquement sur les yeux ?), mais d’autre part, personne ne te culpabilise du regard car tu squattes une table de 4, minimum nécessaire à la lecture d’un journal à table. A vrai dire, c’est le meilleur moment.
Vous vous rappelez de cette série ? Elle s'appelait "Vivement lundi", était diffusée le dimanche soir, avec Bernard Menez dans le rôle du patron. L'ancêtre de The Office en fait.