Un boeuf, un baudet, un cheval,
se disputaient la préséance.
Un baudet ! Direz-vous, tant d’orgueil lui sied mal.
à qui l’orgueil sied-il ? Et qui de nous ne pense
valoir ceux que le rang, les talents, la naissance,
élèvent au-dessus de nous ?
Le boeuf, d’un ton modeste et doux,
alléguait ses nombreux services,
sa force, sa docilité ;
le coursier sa valeur, ses nobles exercices ;
et l’âne son utilité.
Prenons, dit le cheval, les hommes pour arbitres :
en voici venir trois, exposons-leur nos titres.
Si deux sont d’un avis, le procès est jugé.
Les trois hommes venus, notre boeuf est chargé
d’être le rapporteur ; il explique l’affaire,
et demande le jugement.
Un des juges choisis, maquignon bas-normand,
crie aussitôt : la chose est claire,
le cheval a gagné. Non pas, mon cher confrère,
dit le second jugeur, c’était un gros meûnier,
l’âne doit marcher le premier ;
tout autre avis serait d’une injustice extrême.
Oh que nenni, dit le troisième,
fermier de sa paroisse et riche laboureur ;
au boeuf appartient cet honneur.
Quoi ! Reprend le coursier écumant de colère ;
votre avis n’est dicté que par votre intérêt !
Eh mais ! Dit le normand, par qui donc, s’il vous plaît ?
N’est-ce pas le code ordinaire ?
Jean-Pierre Claris de FLORIAN (1755-1794).
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