Vingt mille manifestants Place Tahrir, au Caire, cinq mille à Alexandrie,
deux mille à Port-Saïd, mille cinq cents à Ismaïliya, samedi 2 juin 2012, et encore plusieurs milliers dimanche matin, pour protester comme le verdict qu’ils jugent trop clément du procès
Moubarak. Un nouvel échauffement des esprits à deux semaines du second tour de l’élection présidentielle.
L’actualité est bouillonnante en Égypte en cette fin de printemps 2012.
Hosni Moubarak, 84
ans, toujours emprisonné dans un hôpital en raison de sa santé défaillante, vient d’être condamné à la prison à vie ce samedi 2 juin 2012 dans la matinée pour avoir fait tirer sur les
manifestants au Caire pendant la révolution. Il était accusé du meurtre de huit cent quarante-six manifestants et le procureur avait requis la peine de mort. L’avocat de l’ancien raïs va faire
appel.
L’ancien Ministre de l’Intérieur de Moubarak, Habib el-Adli, a été condamné à la prison à vie (le procureur
avait requis aussi la peine de mort) et les deux fils de l’ancien Président autocrate, Alaa et Gamal Moubarak, ont été acquitté car les accusations de corruption ont été jugées prescrites. Six
autres prévenus, hauts responsables de la police, ont été acquittés.
Beaucoup, dans la population égyptienne, considèrent que verdict est beaucoup trop clément, comme cet
étudiant qui résume assez bien l’opinion des protestataires : « Beaucoup de gens ont eu le sentiment, en écoutant le verdict, que nous étions de
retour à l’époque de l’ancien régime. ». Des affiches ironisent : « Si tu penses que l’ancien régime est tombé, tu as tort. La version
originale est en cours de téléchargement. ». D’autres manifestants sont bien plus véhéments et scandent : « À bas le régime
militaire ! » et sont prêts à combattre : « Soit nous obtenons justice pour nos martyres, soit nous allons mourir comme
eux. ».
Je me réjouis, pour ma part, que la peine de mort n’ait pas été prononcée ; cela aurait été un bien mauvais signe pour la reconstruction politique du pays.
Ce sont les six acquittements qui ont conduit les Frères musulmans à manifester Place Tahrir qui, depuis
l’annonce du verdict, est noire de monde, avec plusieurs dizaines de milliers de manifestants. L’organisation islamique (qui est présent sur la scène politique égyptienne avec le Parti de la
Liberté et de la Justice) a prévenu que s’elle gagnait l’élection présidentielle, elle referait un nouveau procès.
Ces derniers jours, un autre événement est, lui encore, en train de solder le règne interminable de Moubarak
(presque trente ans). Le 31 mai 2012, l’armée égyptienne (toujours aux commandes depuis le 11 février 2011) a annoncé la fin de l’état d’urgence mis en place lors de l’assassinat de Sadate, le 6
octobre 1981. Moubarak avait joué sur cette situation de crise pour imposer son pouvoir.
Plus grand pays "soumis" à ce Printemps arabe qui a débuté en décembre 2010 (avec ses quatre-vingt millions
d’habitants), l’Égypte s’essaie à la démocratie tant bien que mal en évitant les ratés de l’Algérie d’il y a vingt ans. Lorsque le choix est entre des autocrates militaires et des islamistes
fondamentalistes, la démocratie a la gueule de bois.
Ce sera peut-être le cas en Égypte. Les 23 et 24 mai 2012, il y a eu la première élection présidentielle
démocratique. Le premier tour mettait en concurrence vingt-trois candidats après quinze mois de régime transitoire. Moubarak avait déclaré forfait après deux semaines de répression, le 11 février
2011.
Les noms des deux candidats arrivés en tête du premier tour ont été annoncés le 29 mai 2012 : Mohamed
Morsi, 61 ans, des Frères musulmans, partisan de la charia, et Ahmed Chafiq, 71 ans, le dernier Premier Ministre de Moubarak et représentant de l’armée égyptienne, ont obtenu tous les deux
environ un quart des suffrages et s’opposeront au second tour prévu les 16 et 17 juin 2012.
Les "révolutionnaires" ont été très divisés pour ce scrutin et ont déjà perdu l’élection ; leurs voix se
sont dispersées entre Hamadin Sabahi (nassérien) et Abdel Moneim Abou El-Fotouh, 51 ans (ancien des Frères musulmans, "islamiste modéré", c’est-à-dire de l’aile libérale et réformiste, qui aurait
voulu être en Égypte ce que le Premier Ministre turc actuel, Erdogan, est en Turquie, une sorte de
"démocrate-musulman").
Les Frères musulmans avaient un avantage sociétal décisif par rapport aux autres organisations : ils ont
suppléé pendant plusieurs décennies aux carences du pouvoir politique et jouent encore le rôle d’une sorte de Secours catholique avec bien plus d’influence puisqu’ils ont construit des écoles,
des infrastructures sanitaires etc. pour la population (il faut aussi les imaginer comme des syndicats étudiants qui jouent le rôle de bureau des élèves, des organisations toujours populaires car
apportant des aides concrètes).
Souvent, les pays où sévit un régime autocratique conduit à une vacuité du paysage politique (l’autocrate ou
le dictateur ayant fait le vide autour de lui pour écraser toute opposition politique) et seules, les organisations religieuses peuvent faire le rempart contre le pouvoir en place. C’était aussi
le cas en Pologne avant juin 1989.
Les Frères musulmans sont donc le parti le mieux organisé d’Égypte et ont récolté deux cinquièmes des voix il
y a plusieurs mois lors des élections législatives (38% des voix et 222 sièges sur 508). Les élections législatives s’étaient déroulées précisément en six étapes : les 28 novembre et 5
décembre 2011, les 14 et 21 décembre 2011 et les 3 et 10 janvier 2012.
Mohamed Morsi ne voulait pas se présenter mais le candidat pressenti par son parti politique avait été
invalidé car condamné à plusieurs reprises. Il a alors repris le flambeau pour avoir un candidat présent représentant les Frères musulmans (qui, en février 2011, avaient pourtant assuré qu’ils ne
voulaient pas la Présidence).
Ancien chef d’état-major de l’armée de l’air égyptienne, Ahmed Chafik fut Premier Ministre du 31 janvier au 3
mars 2011, c’est-à-dire juste en pleine révolution. Il est donc le porte-parole dans l’ancien pouvoir et plus généralement, de l’ancien régime. Il a d’ailleurs accepté le verdict du procès
Moubarak. Bien que plutôt populaire à l’époque Moubarak, son âge et son passé politique ne plaident pas pour faire de lui l’homme providentiel pour construire la démocratie égyptienne.
Certains révolutionnaires voudraient même la victoire de Chafik pour faire une seconde révolution en prônant
la politique du pire. D’autres pensent que celle de Morsi serait un gage de renouveau politique.
Le choix entre le retour en arrière et l’aventure islamiste risque donc d’aboutir à une impasse
démocratique. Le pire n’est cependant jamais sûr et quel que soit le résultat des 16 et 17 juin 2012, les Égyptiens ont montré, au cours de leur révolution, qu’ils tenaient plus que tout
à leur ouverture au monde et que leur patrimoine culturel et historique reste leur plus précieux trésor : le tourisme est en effet le secteur clef de l’économie égyptienne et la population a
pu amèrement le ressentir depuis quinze mois. Par défaut.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (3 juin
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Vade-mecum des révolutions
arabes.
Fallait-il
intervenir en Libye ?
Et si l’on écoutait Michel Rocard ?
La fuite de Ben Ali.
La Syrie en contestation.
Moubarak
démissionne.
Transition égyptienne : entre colère et raison.
L’Égypte, fin janvier 2011.
La peine de
mort.