A propos de Sur la route de Walter Salles
Sam Riley
Après la mort de son père, Sal Paradise, un jeune écrivain vivant chez sa mère dans le New-Jersey, rêve de voyages et d’évasion. Au cours d’une soirée arrosée avec des amis dans des bars de New-York, il rencontre un drôle d’oiseau, Dean Moriarty, un énergumène venu de l’Ouest des Etats-Unis, un peu plus âgé que lui, et surtout complètement « allumé ». Les deux hommes partagent la même passion pour le jazz. Très vite, le courant passe entre eux. Dean fascine Sal par son caractère et son comportement excentriques autant que par ses frasques et autres histoires d’amour impossibles avec les femmes. En juillet 1947, Sal se lance sur la route avec seulement 50 dollars en poche. Son premier voyage est un échec, mais dès le lendemain, il repart pour Denver où il doit retrouver Dean, mais aussi leur ami Carlo Marx…
Pas évident d’adapter le chef d’œuvre de Jack Kerouac (publié en 1957), même quand on s’appelle Walter Salles. Un autre réalisateur prestigieux s’était cassé les dents dessus avant lui : Francis Ford Coppola, qui possède les droits du livre depuis 1968, mais dut renoncer au tournage prévu à l’automne 2001 (alors que Russell Banks avait déjà écrit son scénario).
Francis Ford Coppola n’est finalement pas totalement absent du Sur la route de Salles, puisqu’il en est le producteur exécutif et son fils Roman l’un des producteurs.
Sur la route est-il adaptable au cinéma ? Comment retranscrire pour le cinéma le style et l’esprit d’un livre qui a marqué autant de générations ? Comment traduire à l’écran la profusion, le foisonnement des images qui caractérisent la littérature de Kerouac ?
Sur la route, roman en partie autobiographique, est celui d’une époque et d’un mouvement d’écrivains ((la fameuse Beat Generation, composée entre autres joyeux lurons d’Allen Ginsberg alias Carlo Marx et William Burroughs alias Old Bull Lee dans le livre) avant tout épris de liberté et soucieux de s’émanciper, de sortir du carcan d’une société d’après guerre aussi sclérosée aux U.S.A qu’obsédée par sa « chasse aux sorcières » communistes.
Alors, on en revient toujours à la même question. Comment retrouver l’enchantement provoqué par les envolées lyriques de Kerouac, ces métaphores fulgurantes guidées par l’improvisation et le Be Bop en jazz ?
Sur la route est régi par cette furieuse envie pour Kerouac d’atteindre ce que les Jazzmen appellent le « it », une sorte d’extase ou d’orgasme artistiques. Ce sentiment de plénitude qui étreint ses personnages culmine dans ce que l’on pourrait appeler une transe sous amphétamines et alcool, une transe quasi-chamanique. C’est un paroxysme littéraire, le moment où Kerouac (qui utilise un langage toujours très imagé) parvient à décrire le mieux, avec le plus d’acuité et de précision, de sensibilité et d’émotion, toute la frénésie voire la folie qui émanent de Dean. Dean, cette « fleur sacrée » aussi débordante de vie qu’inadaptée à la société.
Malgré tous les efforts et le mérite du scénariste Jose Rivera pour (ré)écrire les dialogues, la langue de Kerouac parait bien difficile à transmettre au cinéma.
L’autre difficulté d’adaptation de Sur la route tient à la taille du roman fleuve de Kerouac. Salles a beau être fidèle au livre, il n’en consacre pas moins qu’une partie très brève à l’aventure amoureuse de Sal avec la Mexicaine Terry en Californie. Ce passage, central dans le roman, est pourtant l’un des plus beaux et les plus longs, l’un des plus émouvants et des mieux écrits du livre.
Une autre chose pose problème : dans la galaxie des personnages qui gravitent autour de Sal, on ne sait pas toujours exactement qui est qui, notamment chez des personnages féminins secondaires lors du passage de Sal et Dean chez l’extravagant Old Bull Lee (joué par Viggo Mortensen).
On se souvient en revanche d’une certaine confusion voire d’un flou temporels dans la chronologie des voyages de Sal et Dean, qui se perdent, se retrouvent, etc.. mais qu’on ne retrouve pas ici.
Garrett Hedlund a beau être un très bon acteur, il ne correspond pas non plus à l’image que l’on se fait de Dean, que l’on imagine beaucoup plus dégingandé et déjanté dans le livre. Dean parait ici un peu trop sage et équilibré et Hedlund forcer le trait pour exprimer sa « folie ».
Quant à l’épisode où Dean et Sal doivent amener une voiture d’un bout à l’autre des Etats-Unis, et qui constitue l’un des moments les plus drôles et épiques du livre, il est trop brièvement raconté dans le film pour qu’on y retrouve l’esprit de ce passage (qu’on en comprenne l’idée même).
Alors, tout n’est pas à jeter bien sûr. Sam Riley est par exemple plutôt convaincant en écrivain, double de Kerouac. Tout en retenue, il exprime bien l’effacement et la discrétion pudique que l’on retrouve chez le narrateur de Sur la route, en même temps que l’espèce de fascination qu’il éprouve pour Dean.
La virée au Mexique de Dean et Sal est sans doute la meilleure partie du film, là où la « démence » de Dean est la mieux exprimée. Là, pour la première fois, par le biais de plans où Dean répète frénétiquement des hochements de tête (on dirait qu’il convulse) et les mouvements d’une transe corporelle saccadée, on sent que Salles trouve un langage cinématographique personnel, plastique pour exprimer le bouillonnement intérieur de Dean, surexcité, incontrôlable, en ébullition permanente.
Et l’on sort enfin d’une plate et sage adaptation dont le côté illustratif faisait parfois même penser à une jolie bande dessinée…
http://www.youtube.com/watch?v=fghUWGxTmqg
Film américain de Walter Salles, avec Garrett Hedlund, Sam Riley, Kristen Stewart, Kirsten Dunst, Viggo Mortensen (02h20).
Scénario de Jose Rivera d’après le roman de Jack Kerouac :
Mise en scène :
Acteurs :
Dialogues :
Compositions de Gustavo Santaolalla, Charlie Haden, Brian Blade :