La première partie donne à lire deux ensembles, « Caroline du Nord » et « Hollywood », présentés comme des journaux, où les datations donnent les repères temporels d’instants d’écriture. Les deux Journaux alternent des poèmes aux vers longs, narratifs, et des fragments de prose, constituent une prosimétrie qui suit la projection de la pensée sur la page, des journaux dont, finalement, le centre d’intérêt n’est pas la vie de l’auteur au jour le jour, ou ses humeurs, ou autres faits divers de sa vie quotidienne qui établiraient un pacte autobiographique avec le lecteur, mais est ce qui gravite autour de l’auteur, dont il donne un regard expressif, ou qui devient matière à réflexion, « pourquoi (ça a commencé ainsi) un jeune gars comme moi devrait remarquer le long d’une jolie route de campagne sans ressentir rien d’autre qu’une vague affinité avec les arbres, les plantes, les oiseaux, le ciel et l’odeur de pétrole qui vient des cendres ? » Deux journaux-poèmes chaotiques, composés d’annotations qui font un grand écart entre le moment d’écriture et le contenu du texte, des souvenirs forcément transformés par le passage du temps, parfois non, le poète est dans l’instant pensif.
Dans ces poèmes et proses, le narratif, tissé avec le poétique, appartiennent à une veine méditative courante aux États-Unis. Les trois sections suivantes (« Nouveaux poèmes », « Hommage à Wittgenstein », « Acrobate hors ») sont d’une toute autre facture, résolument, par la forme même. Où leur apparence visuelle est extrêmement travaillée, ciselée dans le minimal, et évolue vers une radicalité visuelle. Des poèmes longs, verticaux, à vers brefs, répétitifs, parfois en double colonnes, poèmes qui dans la lignée mallarméenne travaillent l’espace blanc ; certains de ces poèmes établissent un lien avec l’objectivisme de William Carlos Williams, où il n’est d’autres idées que la chose(-poème) :
choses choses
en en
mots mots
mots mots
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Le poème devient matérialité dans l’enchaînement mot à mot, voire syllabe après syllabe de la pensée ; une fausse simplification du langage qui alerte ; comment se forme notre pensée, suit-elle, comme il est de coutume de le normativiser, l’axe horizontal de la syntaxe, ou n’est-elle pas une chute verticale lexicale dans l’esprit qui fait la sélection avec la lenteur de l’orfèvre ? Au fur et à mesure qu’on avance dans les livres, les poèmes accentuent leur visualité, ils deviennent d’une verticalité vertigineuse, faits de vers d’une syllabe, coupant les mots en plusieurs vers, et se distribuent sur plusieurs colonnes, matérialisent et privilégient les questionnements personnels de l’auteur, insistent sur ses méditations, les mots apparaissent comme des particules de pensées distribuées sur la page, des « enchaînements de pensées » non point pas à pas, mais blanc à blanc, il n’est nullement question chez Lax, dans ces poèmes, de donner à lire du sens dans l’insignification, de privilégier le signifiant et de nier le signifié, mais de concorder signification et sens formellement, ainsi le sens est-il concrètement libéré, le sens prend forme à précision visuelle.
[Jean-Pascal Dubost]
Robert Lax
1 2 3 Poèmes & Journal
traduction Vincent Barras
éditions Héros-Limite
240 p., 24 €