L'exposition Art & press au Martin Gropius Bau à Berlin (jusqu'au 24 juin) s'interroge sur les rapports entre l'art et la presse, avec tout le who's who, Beuys, Warhol, Rauschenberg, Richter, Boltanski, Kawara, Kiefer, etc. Il y est surtout question de l'utilisation par les artistes de photographies ou de coupures de presse, et aussi de typographie et de maquette, et on retrouve bien des oeuvres très connues, parfois remarquables (ainsi Richter) et parfois assez banales (comme Gilbert & George). Mais j'ai été davantage intéressé par les quelques artistes qui ont considéré le journal comme un objet de papier et d'encre autant que comme un vecteur de communication. Parmi eux, Günther Uecker plante des clous dans des piles de journaux, à la fois crucifixion et construction, terreur et stabilité (Monument analphabète).
Sigalit Landau creuse le marbre de Carrare, et les journaux s'enroulent autour des carottes de marbre dans une forêt géométrique de cercles intersectés, quelque part entre les rouleaux de la Mer Morte et les piscines des centrales nucléaires (News Delivery Round). Un des ensembles est parallélépipédique, bien poli et ordonné, l'autre, de forme plus irrégulière, a sa face arrière encore brute; les carottes sont aussi des rouleaux sur lesquels les blocs pourraient se déplacer. Ce jeu entre marbre éternel et papier éphémère est une tension entre interne et externe, plein et vide, forme et contenu, peut-être aussi brut et civil.
Parmi les pièces moins formalistes et plus intéressées par le journal média, j'ai revu avec émotion l'installation Eichmann et l'ange de Gustav Metzger, une des plus impressionnantes de l'exposition : cabine blindée de Eichmann à son procès, chaîne de transfert de journaux provenant d'un service de messagerie et une muraille de journaux. Au mur, l'inscription Jérusalem (pour Eichmann), Port-Bou (pour Walter Benjamin; mais quelqu'un devrait dire au conservateur que c'est en Espagne près de la frontière française, pas l'inverse...) et New York (pour Hannah Arendt), et l'Angelus Novus. Plus léger est le Kiosk de curiosité de l'Iranien Farhad Moshiri dont les tapis reprennent des couvertures de journaux; ironiquement tragique (ou tragiquement ironique) sont les faux obituaires de Adam McEwen au format du Daily Telegraph (où l'artiste travailla, d'ailleurs) : ici Stéphanie de Monaco (morte en 2011 à l'âge de 46 ans), Bill Clinton (mort en 2004 à 58 ans), Kate Moss (décédée en 2006 à 33 ans) et Jeff Koons (disparu en 2004, âgé de 49 ans). Si l'artiste détruit ses pièces quand le sujet meurt 'pour de vrai', ce sont des oeuvres éphémères, des anti memento mori, en quelque sorte. McEwen avait conçu une des meilleures expositions du Palais de Tokyo alors à la mode suisso-new-yorkaise, Fresh Hell. Enfin, des toiles de Marlène Dumas que je ne connaissais pas, celle qui montrent le mur de l'apartheid (l'autre, celui de Palestine), imposante et sombre structure de béton qui occupe toute la toile, tableaux peints d'après des photos de journaux. Dans celle-ci, presque incongru, un signe de vie, un personnage (Figure in a landscape). Je voudrais encore mentionner l'installation micro-filmique d'Elisabetta Benassi, vue à Venise l'été dernier et le choix de reproductions de portraits de lecteurs de journaux par Degas, Cézanne, Daumier et d'autres, à l'étage. dommage que le catalogue ne soit qu'en allemand; l'exposition ira ensuite à ZKM à Karlsruhe. Autres expos vues à Berlin, en vrac : Larry Clark à C/O (pas de censure Delanoë/Girard ici; plus de pièces, une grande enfilade de photos N&B au rez-de-chaussée et une explosion colorée à l'étage, beaucoup de ses collages de travail aussi). Les émigrés de Bouchra Khalili à la galerie Campagne Première; l'architecture constructiviste soviétique également au Martin Gropius Bau (où je n'ai par contre pas vu l'exposition californienne); des pièces conceptuelles de Victor Burgin chez Thomas Schulte; des photos de Brasilia à très longue exposition de Michael Wesely et sa femme Linda Kim à la galerie Fahnemann; les arbres-balais de Michael Sailstorfer à la Berlinische Galerie; et les extraordinaires appareils photographiques de Taiyo Onorato et Nico Krebs à la galerie Feldbuschwiesner. Plus la maison manquante de Boltanski. Beaucoup à voir...