Article rédigé par Aline.
Du 31/05 au 9/06 à 20h30Salle Delvaux, ULB, bâtiment F-1, Avenue Paul Héger 20 à 1050 Bruxelles. De 8 à 12€.D’après Michel de Ghelderode et Antonin Artaud.
Mise en scène : Andrés Cifuentes
Avec : Jérôme Dubois, Andrés Cifuentes, Linda Jousset, Marco Fabbri, Lionel Thibout
« Un royaume décadent, en fin d’existence. La reine est empoisonnée. Elle agonise. Le bouffon soumis accompagne le roi. Le roi souffre d’hallucinations. Le bouffon entretient des relations intimes avec la reine. Il tente d’assassiner le roi. Interviennent des scènes de confusion mentale entre rêve et réalité. Au-delà d’un conflit personnel, on accède aux sentiments enfouis d’une humanité dont il ne reste que les instincts primaires de survie. »
Annonçons-le d’emblée : le terme de décadence ne suffit pas à décrire cette pièce audacieuse qui manque de peu son public.
Par moments, la mise en scène est pourtant à couper le souffle, notamment lorsqu’un tableau vivant prend forme lentement sous les yeux du public. L’utilisation du rideau de scène transparent est elle aussi excellente.
Quel dommage que ces éblouissants éclairs de génie visuels soient gâchés d’une manière tonitruante par les cris et les gesticulations d’une bande d’individus braillards. Défilent en une vraie sarabande des femmes en sous-vêtements dansant sensuellement sur la table derrière leur masque de cochon (qui n’est pas sans nous évoquer l’orgie masquée de Shining) ; des hommes en slip moulant se trainant à quatre pattes, un couteau à la main, aboyant d’une voix rauque digne d’écourter l’espérance de vie moyenne d’un tympan humain ; des scènes de crucifixion à n’en plus finir ; des cris d’agonie qui écorchent efficacement durant une bonne minute ou deux nos pavillons auditifs déjà bien malmenés ; des êtres difformes ornés de masques grimaçants qui auraient pu être agréablement troublants et malsains s’ils ne mugissaient pas d’étonnants sons d’animaux dont l’exubérance finit par provoquer lassitude et soupirs.
Et le rire, le rire du roi.
J’épargnerai au lecteur sensible la tirade sur les matières fécales (« La recherche de la fécalité » d’Antonin Artaud pour tout intéressé), déclamées symboliquement par un squelette dont la symbolique, en fait, nous échappe complètement. Après deux ou trois passages des cerbères du roi, ces individus en slip moulant proférant de rauques aboiements qui couvrent presque la voix royale, il nous vient une envie furieuse de monter sur les planches séance tenante et d’étrangler les infortunés acteurs avec un rideau de scène en récitant Les djinns de Victor Hugo.
Bouh, vous êtes laids, et on vous le dit à quatre pattes en aboyant. |
Le risque consistait peut-être justement à chercher la « réconciliation » ces deux univers si particuliers de Michel de Ghelderode et d'Antonin Artaud. Cette revendication théâtrale, dont nous ne commentons pas la beauté ou l’utilité artistique, s’avère concrètement être un vrai chemin de croix semé d’embûches. Au final, il y a une nette surenchère de « malsain » et il semble même au spectateur qu’on cherche là à choquer pour choquer.
La mise en scène aurait pu cependant être sauvée si elle s’était contentée d’explorer avec grâce (et ce malgré le raffut des acteurs) les méandres de la folie. C’est après tout le thème principal de L’ombilic des limbes.
Malheureusement, les références culturelles et religieuses dont est truffée la pièce, en particulier la critique de la religion chrétienne constamment présente dans le texte et rappelée au lecteur distrait par les multiples symboliques de Christ crucifié, semblent par moments s’apparenter à de la masturbation intellectuelle. Elles apparaissent très vite comme hautaines, voire prétentieuses, et n’éclairent en rien de leur compréhension le tableau chaotique qui se déroule sous nos yeux. En somme, c’est ici un excès d’importance que la pièce se donne, elle qui aurait pu en restant simple laisser un souvenir bien distinct de l’agacement.
L’ombilic des limbes aurait pu être une grande pièce. La différence tient sans doute dans d’infimes détails. Et si, au final, l’ennui qui se dégage de cette pièce est mortel, nul doute que le thème s’il avait été traité autrement, méritait que l’on s’y attarde.