C’est une lourde responsabilité, qui s’exprime en deux mots : «patron d’Airbus». Elle repose à présent sur les épaules de Fabrice Brégier, 51 ans le mois prochain, polytechnicien, ingénieur en chef des Mines, tout à la fois brillant et discret, plutôt atypique pour un «Lagardère Boy». Un titre de gloire dont il ne se prévaut guère dans la mesure où il implique aux yeux de certains une connotation vaguement péjorative au sujet de laquelle les bons spécialistes affichent des avis souvent contradictoires. Tout le monde, il est vrai, regrette le charisme et l’audace de Jean-Luc Lagardère. Et les mêmes s’interrogent à propos de son fils Arnaud, désormais président du conseil d’administration d’EADS, une erreur de casting. D’autant qu’il vendra sa participation et se retirera très probablement du groupe dans les deux ans.
Quoi qu’il en soit, Fabrice Brégier arrive solidement armé à la tête du numéro 1 mondial de la construction aéronautique civile. Il occupe depuis quelques jours un poste enviable, remarquable, impressionnant. D’autant que la liste de ses prédécesseurs illustre quatre décennies de conquête, de combats, de défis, de l’industrie aéronautique européenne. Après Henri Ziegler, Roger Béteille de Felix Kracht, d’autres grands personnages ont construit cette réussite exemplaire, à commencer par Bernard Lathière et Jean Pierson. Puis vinrent Noël Forgeard, précisément le plus illustre des membres du clan Lagardère, Louis Gallois et, enfin, Thomas Enders, premier non Français à s’installer dans le fauteuil de président exécutif. Il l’a fait avec un doigté qui n’avait rien de latin mais a suscité le respect, en même temps qu’il se préparait à prendre les rennes de la maison-mère.
Dans le même temps, Fabrice Brégier a beaucoup travaillé, avec rigueur, à sa manière. C’est-à-dire sans chercher à se placer sous le feu des projecteurs mais en maîtrisant parfaitement ses dossiers. Il avait débuté comme conseiller technique dans des ministères, sans doute une bonne entrée en matière, mais il s’est ensuite écarté des ors des palais de la république pour prendre, très jeune, de solides responsabilités chez Lagardère. Et, détail remarquable, très tôt, il a travaillé avec des collègues allemands en qualité de président du groupement d’intérêt économique chargé du missile Apache, développé par Matra Défense et Daimler-Benz Aerospace. Une entrée en matière prémonitoire.
Il a ensuite poursuivi sa route, un sans-faute, à la direction des programmes Scalp et Storm Shadow, étape qui l’a tout naturellement conduit à diriger Matra BAe Dynamics puis le missilier MBDA. En février 1993, nanti d’un C.V. déjà impressionnant, il a pris la direction du sud-est pour diriger Eurocopter, numéro 1 mondial des voilures tournantes, une belle entreprise franco-allemande et fière de l’être. Puis, en 2006, il a quitté Marignane pour Toulouse pour s’asseoir dans le siège de directeur général opérationnel (chief operating officer en américano-eurosprechen version EADS) d’Airbus. Un poste lourd, délicat, dans la mesure où lui revenait la responsabilité de mener à bien le difficile plan Power 8 visant à permettre à Airbus de réussir un grand bond en avant en matière de productivité. Fabrice Brégier et Thomas Enders ont alors fait preuve d’une redoutable complémentarité, à la plus grande satisfaction de Louis Gallois. Deux cultures précieusement complémentaires, d’autant bienvenues que les difficultés s’étaient alors accumulées. Non seulement le prix à payer pour l’euro cher confronté à un dollar faible, mais aussi le démarrage chaotique de la production de l’A380, la coûteuse dérive financière de l’A400M puis le pari risqué de l’A350, challenger du Boeing 787.
Compétent, prudent, fort d’une connaissance exceptionnellement approfondie des rouages d’Airbus, Fabrice Brégier va maintenant s’appuyer sur une garde rapprochée pour l’essentiel mise en place par Louis Gallois et Thomas Enders. A commencer par Tom Williams, directeur des programmes, John Leahy, directeur commercial, Charles Champion, directeur général technique et Domingo Urena-Raso, patron d’Airbus Military. Il y a là beaucoup de savoir-faire, par exemple avec Didier Evrard, responsable du programme A350.
Airbus, constamment à la croisée des chemins, doit aussi impérativement réussir, à court terme, une nouvelle montée en cadence de ses «monocouloirs», d’une part, de l’A330, d’autre part. Dans le même temps, l’A380 devra enfin trouver son rythme de croisière et, bien sûr, l’entrée en service de l‘A350, livrable à partir de 2014, jouera un rôle primordial dans la réussite à court terme de l’avionneur. Puis viendront très vite d’autres défis, à commencer par celui que constitue la fin annoncée du duopole Airbus-Boeing. Seul un homme parfaitement préparé à une tâche de cette envergure pouvait prendre à bras le corps la direction d’Airbus. C’est chose faite.
Pierre Sparaco - AeroMorning