C’est le sujet d’une rencontre publique à laquelle je viens de participer qui me pousse aujourd’hui à vous parler d’un des lieux de l’art contemporain dont on parle rarement: l’atelier de l’artiste.
Quand on prononce ces deux mots, j’imagine que des images de lieux à la fois magiques et secrets se succèdent dans vos têtes: lieu dans lequel on assiste aux processus prodigieux de la création, ou grouillant et dynamique, où se croisent les artistes et toute une série d’autres figures étranges.
N’oublions pas que la première fonction de l’atelier de l’artiste est celle de laboratoire: ici on produit des œuvres et on garde tout le matériel qui sert à créer. Cet espace a aussi une fonction sociale: les artistes peuvent aussi y inviter des critiques, directeurs de musée, collectionneurs ou galeristes pour montrer leur travail, parler de leur démarche, sélectionner ensemble les œuvres qu’iront enrichir une collection ou composer une exposition.
Depuis le début du XXème siècle, beaucoup de choses ont changé dans la production d’œuvres: les artistes contemporains s’entourent de plus en plus (selon leur travail) d’autres spécialistes qui les aident à réaliser des pièces. Un exemple entre tous est l’atelier d’Olafur Eliasson, à Berlin où travaillent aujourd’hui 45 personnes de tous les horizons: administrateurs, architectes, historiens de l’art et scientifiques. Cette tendance à réunir autour de soi une équipe de spécialistes naît dans les années 1960, avec la célèbre Fabrique d’Andy Warhol: un lieu aujourd’hui mythique où l’artiste produisait ses œuvres à l’aide de machines et où le processus de création classique a été remplacé par des procédés presque industriels.
Parfois l’atelier d’un artiste peut servir de lieu d’exposition, comme le montre l’exemple célèbre de Constantin Brancusi, qui, à partir de 1920, considère son atelier comme le lieu privilégié de présentation de ses sculptures et l’endroit parfait où expérimenter l’emplacement de ses groupes de pièces.
Nombre d’artistes des années 1960 ont eu un atelier-magasin, où il créaient leurs œuvres et vendaient toute sorte d’objets: l’exemple le plus connu est Le Magasin de Ben Vautier, artiste majeur de Fluxus en France. Dans ce espace, où tous les artistes de la Côte d’Azur se croisaient, l’art se mêlait avec la vie: à côté de pièces produites par l’artiste, on pouvait trouver des disques, livres, toutes sortes d’objets. Claes Oldenburg aussi a ouvert The Store, un magasin-atelier, en 1961 dans l’East Village, à New York.
À quoi ressemble aujourd’hui l’atelier d’un artiste contemporain?
La plupart du temps, c'est un simple bureau, où les matériaux artistiques se mélangent aux livres, ordinateurs, carnets etc.. un peu comme mon bureau, oserais-je dire. Il ne s’agit plus de lieux entourés d’une aura féerique, parce que la figure de l’artiste a profondément changé depuis un siècle. Devenu travailleur comme les autres, son lieu de création est aussi tout simplement devenu un lieu de travail.
Ce qui fait la richesse de ce lieu : les rencontres qu’il rend possible avec l’artiste, son œuvre, d’autres artistes.
Sans craindre de vous paraître banale, je crois que l’atelier est un des lieux majeurs du système de l’art contemporain et qu’il reflète la place de l’artiste dans la société d’aujourd’hui et dans les modes de production de l’art. Daniel Buren, un des plus célèbres artistes en France, dit carrément que l’atelier préexiste à la galerie et au musée et que tous les autres lieux de l’art en dépendent.