Peu de gens connaissent l'oeuvre prolifique de Marcel Jouhandeau, dont la plupart des soixante-dix ouvrages - les fameux Journaliers, entre autres - sont presque tous épuisés. Dans l'un de ces volumes, Que la vie est une fête, publié en 1966, il note à propos de l'amour, qui lui inspira ses plus belles pensées: Ce que je cherche, ce n'est ni tout à fait l'amour, ni la beauté, ni le plaisir, mais une sorte de défi à l'orgueil et l'occasion de vaincre quelqu'un par une suprême élégance du coeur.
Dans un autre extrait, il ajoute: Ceux qui peuvent haïr ou songer à se venger ne savent pas ce que c'est que le coeur, ne savent pas ce que c'est que d'aimer. Le coeur sous le sarcasme de ceux qui le broient aime toujours.
L'amour - même douloureux - la plus belle des fêtes? Il sait en parler mieux que personne, et pourtant, Marcel Jouhandeau, secret et controversé, catholique et quelque peu mystique, homosexuel et néanmoins marié à Elisabeth Toulemont - dite Elise dans ses oeuvres - en a connu la plupart des limites, des contradictions, des artifices, des mystères et des voluptés. Sans doute pour tous ces chemins de traverse, sa sensibilité d'écorché vif peut-elle émouvoir, interroger ou plaire, bien davantage - en contrepoint aux relations ambigües avec son épouse: quarante ans de scènes de ménages - qu'au temps de son vivant, débarrassée de l'image sulfureuse de son auteur qui, par ailleurs, l'avait peut-être imprudemment entretenue. Aimer, c'est une présence qui domine sur tout ce que nous sommes. (...) La bonté consiste à vivre avec ceux qui nous ont meurtris, comme si de rien n'était.
Cet écrivain à la recherche de la grandeur de l'homme, ennemi de l'hypocrisie et du mensonge, a pourtant aussi sa part d'ombre: un suicide raté dans sa jeunesse et la publication en 1938 d'un opuscule intitulé Le péril juif, écrit semble-t-il sous l'influence d'Elise, farouche et active antisémite. Un livre qu'il tenta de faire disparaître, mais sans en renier une seule ligne...
De quoi gâcher la fête - hélas! - en ce qui me concerne... Malgré ces réserves, il vaut la peine de lire La prudence Hautechaume et Chaminadour, deux de ses chefs d'oeuvres par l'originalité des récits, la qualité du style et l'acuité du regard, à la fois magnanime et cruel sur les vertiges de la nature humaine.
Marcel Jouhandeau, Chaminadour - Contes, nouvelles, récits (coll. Quarto/Gallimard, 2006)
Marcel Jouhandeau, Que la vie est une fête - Journaliers VIII / 1961 (Gallimard, 1966)