Pourquoi (re)lire Michel Roux aujourd'hui ? Retours sur la journée d'étude « Lire et comprendre les Balkans » (4)
Publié le 03 juin 2012 par Geo-Ville-En-Guerre
@VilleEnGuerre
Pourquoi (re)lire Michel Roux aujourd'hui ?
Retours sur la journée d'étude
« Lire et comprendre les Balkans »
et remarques à partir du travail de terrain (4)
Michel Roux et la géographie
des Etats post-communistes
Suite des précédents billets (« Introduction », « Michel Roux : le géographe, le balkaniste et l'homme » et
« Michel Roux : une géographie des conflits ») autour d'un aspect particulièrement intéressant des travaux de Michel Roux, autour de sa collaboration scientifique avec de nombreux chercheurs travaillant sur d'autres espaces post-communistes, dont l'expérience de terrain et la recherche ont permis la confrontation entre deux régimes, et l'analyse des permanences et mutations.
On insiste ici sur l'idée de post-communistes et non d'ex-communistes : l'utilisation du préfixe « post- » souligne « une formation qui se situe temporellement après, mais non au-delà, de celle à laquelle le préfixe est attaché. "Post-" renvoie à une situation de postériorité particulièrement dans laquelle, loin d'avoir été abandonné, ce qui est passé continue de conditionner sans relâche, voire de dominer un présent qui a néanmoins, sur un certain plan, rompu avec ce passé » (Wendy Brown, 2009, Murs. Les murs de séparation et le déclin de la souveraineté étatique, Les Prairies ordinaires, collection Penser/Croiser, Paris, p. 16). La géographe Violette Rey a souligné l'importance du travail de Michel Roux pour le livre I « Europes orientales » (sous la direction de Violette Rey) du tome « Europes orientales, Russie, Asie centrale » de la dernière Géographie Universelle (sous la direction générale de Roger Brunet). Elle a décrit la passion de Michel Roux pour connaître ce pan obscur de l'Europe, et son incessante volonté d'établir les faits les moins évidents, qui s'opposaient souvent avec ce qu'en disaient les discours habituels, sans recherche de la part de Michel Roux de succès éditoriaux ou d'effets de carrière. Son travail a beaucoup apporté à la fois à la géographie et aux études sur les Etats post-communistes, puisque son intérêt pour les réalités géographiques de cet espace balkanique l'a amené à des questionnements bien plus larges.
Violette Rey a également évoqué l'élaboration de la Documentation photographique n°6077 sur « L'Europe de l'Est » (parue en 1985) et a témoigné de la profonde honnêteté intellectuelle très exigente de Michel Roux, toujours attentif de l'exactitude. Pour preuve : les 70 pages de la bibliographie de sa thèse, témoins de sa grande rigueur. Lors de leur travail sur la Géographie universelle (publiée en 1996), Michel Roux a rédigé les chapitres sur la Yougoslavie, qui offre une articulation synthétique sur la crise à venir au Kosovo et sur la désintégration de la Yougoslavie. Il a aussi su dire que « la Yougoslavie aussi aurait pu exister », et ne tombait pas dans un fatalisme lié à un déterminisme géographique qui ferait des Balkans une aire de violence et de conflits (voir à ce propos l'incontournable travail de Maria Todorova et notamment la traduction en français d'un de ces ouvrages les plus célèbres : Imaginaire des Balkans, Editions EHESS, collection En temps & lieux, Paris, 2011).
En concluant la journée, Violette Rey a rappelé la richesse de cette journée d'études qui a notamment permis de croiser les terrains balkaniques, mais aussi d'autres terrains post-communistes. Si la question du post-communisme et de ses implications spatiales n'était pas au coeur de la journée d'études (dont l'objectif - en plus de l'hommage au géographe Michel Roux - était de (re)questionner la géographie des Balkans), les interventions concernant la place de Michel Roux dans des groupes de réflexion et de travail sur l'ensemble des Etats de l'Europe balkanique mais aussi de l'Europe de l'Est (donnant lieu à des travaux tels que la direction de l'ouvrage Nations, État et territoire en Europe de l'Est et en URSS en 1992) a montré l'importance, même pour un spécialiste d'une aire géographique spécifique, de confronter son travail à d'autres aires, à le mettre en perspective dans la démarche comparatiste (ne serait-ce que par des travaux communs), et l'intérêt de confronter son propre terrain à celui des autres chercheurs, que ce soit en termes de méthodologie comme en termes de réflexion.