REVEVIN 2012: les gens et les vins de Mogador

Par Olif

Après l'ascension revevinesque de la Roche aux Moines la veille au soir, cap au Sud pour gagner des terres colonisées il y bien longtemps de cela, au XIIème siècle, par les Pères Chartreux, du côté de Tarragone. D'Escaladei (les échelles de Dieu) à Gratallops, ils ont œuvré à la valorisation de ces terres bénies, auxquelles ils ont également donné leur nom sans se faire prier: le Priorat. Dans leurs bagages, ils n'avaient pas oublié d'emporter quelques cépages rhodaniens, comme le grenache, le carignan et même la syrah. Lorsqu'ils ont dû quitter précipitamment la région, en 1835, pour avoir un peu trop abusé de leur ascendant sur le peuple à grands coups de dîmes et d'impôts, les Chartreux ont tout abandonné aux mains des paysans locaux, qui ont récupéré une partie de leur dû en pillant largemement la grande Chartreuse du Priorat, jusqu'à en faire un tas de ruines..

Suivant les traces des moines bien des années plus tard, la famille de René Barbier a quitté la vallée du Rhône pour faire commerce du vin en Catalogne. René Barbier est ainsi la 5ème génération de ces marchands de vins à vivre en Espagne. Plus exactement en Catalogne, sinon, sa femme, d'origine française également, aurait eu du mal à le suivre, ce qu'il nous a avoué sous le saut du secret matrimonial. À l'instar des cordonniers, ce sont généralement les Barbier qui sont les plus mal rasés. René ne déroge pas à la règle. Depuis l'année 79, qu'il s'est implanté en Priorat, il n'a eu de cesse de redonner ses lettres de noblesse à ce vignoble séculaire aux paysages somptueux, à la limite du grandiose. Malgré ce cadre magnifique, c'est pourtant un endroit qui nécessite "d'avoir une grande illusion pour espérer s'en sortir ... et y rester". Celle de vouloir recréer un vin qui ressemblerait à un vin "pré-phylloxérique", par exemple. En 1989, la première cuvée de son Clos Mogador voit le jour. Mogador parce que "les gens", saga familiale écrite par la tante Élisabeth Barbier, qui raconte l'histoire d'une riche famille rhodanienne au XIXème siècle, largement inspirée de celle de la famille Barbier. Depuis la reconnaissance internationale et la consécration parkerienne, survenue très rapidement, en 1992, Clos Mogador ne cesse pourtant d'évoluer vers les aspirations profondes de René. La part plutôt importante de cabernet sauvignon, qui a contribué à la notoriété du cru, est en train de fondre  comme pulpe de raisin au soleil pour laisser plus de place aux véritables cépages identitaires de la région. Grenache, carignan, mais aussi syrah un peu, s'imposent de plus en plus pour donner un vin qui gagne en gourmandise et en fraîcheur. La fraîcheur, recherche perpétuelle et indispensable pour ces vins solaires du Priorat, réputés concentrés et alcooleux. René Barbier l'obtient de mieux en mieux grâce à une viticulture exigeante, tendance biodynamique, qui permet progressivement d'obtenir la maturité du raisin avec un degré naturel moindre. Sacré challenge! Et ça se ressent dans le verre, évidemment.

À côté du Clos Mogador, René Barbier produit un vin blanc particulièrement original, Nelin, à base de vieux cépages (une quinzaine) et de pinot noir. Il s'est également investi dans la réhabilitation d'une vieille parcelle de carignan, dans un lieu unique, Manyetes, et s'est implanté dans l'appellation voisine de Montsant pour produire une cuvée de vieux grenache particulièrement espectaculaire. Espectacle (c'est son nom) s'est rapidement située au niveau des Grands d'Espagne.

Ex soixante-huitard et contestataire dans l'âme, privilégiant quand il le peut les déplacements en camping-car (par nostalgie du Van VW de sa jeunesse?), il s'est finalement résolu à se déplacer en avion pour venir participer à ces rencontres vendéennes. Agrémentée de visuels vidéo-projetés pour l'ambiance catalane, cette dégustation de Priorat sous le patio du Chai Carlina fera date dans l'histoire des REVEVIN. Un grand moment!

- Clos Manyetes 2009: malheureusement légèrement bouchonné, ils ne laisse qu'entrevoir sa belle minéralité sur des tanins un peu secs, altérant la perception en bouche.

- Clos Mogador 1998: vestige de la période cabernet sauvignon, il évolue superbement, sur des notes chocolatées, avec une touche de poivron rouge bien mûr, apportant de la complexité. Les tanins sont fondus, élégants, sans la moindre austérité. Bel fraîcheur finale et équilibre magique.

- Clos Mogador 2001: la part de cabernet sauvignon rétrécit, seulement 18%. La robe est encore jeune, brillante, témoignant du peu d'extraction. L'apport du carignan est indéniable. Riche, puissant, mais élégant, on ressent de la droiture et une certaine tension qui régulent l'équilibre. Très beau vin.

- Clos Mogador 2009: grenache, carignan, syrah et un peu de cabernet sauvignon. Arômes de fruits noirs, avec une petite touche poivrée, qui évoluent en bouche sur des fruits rouges plutôt frais, grenade ou grenadine, ce qui n'est pas tout à fait la même chose, et cela fera débat. Les tanins sont suaves et soyeux, d'une grande gourmandise. Et toujours cette belle fraicheur...

- Nelin 2010: c'est le blanc de Mogador et il est issu de 15 cépages, dont grenache, macabeu, escanyavelle ("étrangle vieilles", du faut de sa peau dure et rugueuse) et pinot noir. Jolis arômes de pêche, sensation tannique en bouche, de la puissance, mais un beau compromis entre richesse et fraicheur, ici aussi ardemment recherchée.

- Nelin 2008: la robe dore un peu et le nez développe des arômes d'amande grillée et de frangipane. Les fruits sont toujours bien présents. Dans un style riche et structuré, voilà un beau vin blanc pour la table.

- Clos Nelin 2002: à maturité, il respire la truffe blanche et l'eau de vie de framboise à plein nez. La bouche est ample et généreuse, dévoilant une fraicheur épicée en finale. Grandissime bouteille, sur la puissance et la tension.

- Espectacle 2009: il a nécessité de la préparation, ce joyau du Montsant, pour se présenter à nous sous son meilleur jour. Long carafage, verres géants, le voici à point, délivrant toute sa complexité par petites touches. Réglisse, petite prune, rose fanée, il est d'une profondeur et d'une complexité rares. Puissant (il avoisine les 16°), mais équilibré, y tremper ses lèvres, ne serait-ce qu'une seule fois dans sa vie, est un moment privilégié.

Merci, Monsieur Barbier, pour cet authentique bonheur partagé!

Sans nul doute le temps fort de ces 9èmes REVEVIN, co-organisées par La Pipette et le Chai Carlina de Saint-Jean de Monts.

Olif

P.S.: souvenirs souvenirs, ma première rencontre avec les vins du Priorat, en Suisse, qui fut l'un des premiers pays à soutenir commercialement la démarche de René Barbier. Clairvoyants, parfois, les Helvètes!

P.S.2: pour le compte rendu d'une belle visite récente in situ, c'est sur la Pipette qu'il faut aller voir.

P.S.3: REVEVIN, c'est évidemment des vins, mais c'est aussi une femme, qui sait le raconter.