Quand vous entendez qu’il reste seulement X milliards de « réserves accessibles » de pétrole, rappelez-vous que ça ne concerne pas tout le pétrole qui existe mais uniquement celui qu’il n’est pas trop coûteux d’aller chercher en raison des limites techniques ou des réglementations gouvernementales.
Par A. Barton Hinkle.
Un article de reason.com.
La croyance selon laquelle la production mondiale de pétrole était à son apogée et allait se mettre à décliner (entraînant pénuries, effondrement économique, guerres pour les ressources et autres désastres) était très en vogue il n’y a pas si longtemps.
« La production mondiale de pétrole atteint-elle un pic ? » se demandait la BBC en 2005. « Beaucoup ne s’imaginent pas à quel point nous sommes proches du peak oil », disait le Houston Chronicle trois ans plus tard. Deux ans après, le New York Times écrivait à propos d’un groupe d’écologistes « soutenant que les réserves de pétroles étaient à leur maximum dès 2008 et vont maintenant baisser rapidement, et l’économie avec elles ».
Les agences gouvernementales n’étaient pas en reste. En 2010, le commandement des forces interarmées des États-Unis mettait en garde : « d’ici 2012, la production excédentaire de pétrole pourrait disparaître totalement, et dès 2015 le déficit de production pourrait atteindre environ 10 millions de barils par jour. » Encore ce printemps, tous les rapports semblaient s’accorder à dire que le gallon [NdT : environ 4 litres] serait certainement à 5 dollars, ou pire, cet été.
Eh bien nous voilà en été 2012. Le Chicago Tribune rapporte que le prix mondial « est tombé bien en dessous de 4 dollars le gallon » et le terme peak oil semble complètement oublié. Et ce n’est pas tout : visiblement, le Moyen Orient pourrait dans une large mesure cesser d’être le principal fournisseur en pétrole des États-Unis.
D’après le Washington Post, les importations américaines venant des pays membres de l’OPEP ont diminué de 1,8 millions de barils par jour. L’année dernière, la principale source de pétrole brut des États-Unis (et de loin) a été le Canada, qui lui fournit 29% de ses importations. Par opposition, l’Arabie Saoudite (qui est la seconde plus grande source) ne représente que 14%. « La rapide augmentation de la production a été frappante dans des sites comme les sables bitumineux d’Alberta au Canada, et dans les formations rocheuses ‘étroites’ du Dakota du Nord et du Texas, réserves dont les ressources sont tellement difficiles à raffiner ou atteindre qu’elles n’étaient jusqu’à très récemment pas considérées comme économiquement viables. Le pétrole jaillit aussi dans des régions anciennement dangereuses en Colombie et… au Brésil. »
Mais ce n’est pas tout. « Une foule de nouvelles découvertes et de perspectives optimistes concernant de larges dépôts entraîne également les compagnies énergétiques à creuser dans la mer des Tchouktches (dans le cercle polaire Arctique), au fond de l’Amazonie, le long d’un gisement potentiellement énorme au-delà de la côte nord-est de l’Amérique du Sud, et dans les eaux bouillonnantes entourant les îles Malouines. »
Alors, qu’est-ce qui a bien pu se passer ? Ce n’est pas un grand mystère : quand les réserves baissent et que les prix montent, les producteurs sont incités à trouver de nouvelles sources et à développer de nouvelles technologies. Quand vous entendez qu’il reste seulement X milliards de « réserves accessibles » de pétrole, rappelez-vous que ça ne concerne pas tout le pétrole qui existe mais uniquement celui qu’il n’est pas trop coûteux d’aller chercher, que ce soit à cause des limites techniques ou des réglementations gouvernementales. Deux facteurs qui peuvent évoluer.
Et comment : en seulement six ans, le Dakota du Nord s’est hissé jusqu’à la place de second fournisseur de pétrole domestique grâce à l’amélioration de ses techniques de forage horizontal qui ont fait merveille dans les sites de Bakken et Tree Forks. La ruée vers le pétrole a fait quasiment doubler la population de la ville de Williston. Le chômage est à 1% (3.000 emplois sont encore ouverts) et le salaire moyen a explosé de 32.000 à 80.000 dollars. Tout cela à été rendu possible par une nouvelle technologie, le fracking (compression de hydraulic fracturing, fracturation hydraulique). Cette technique a soulevé des objections de la part des écologistes, mais elle fonctionne.
Ceci montre à quel point il est faux de juger des réserves de pétrole en devinant combien on en voit devant soi. Pour commencer, ça ne prend pas en compte le facteur le plus important : l’ingéniosité humaine (qui, contrairement aux ressources, n’est pas limitée). En 1989, quand Colin Campbell (fondateur de l’association pour l’étude du peak oil) affirmait que le pic avait déjà été atteint, il avait peut-être raison étant donné la technologie de l’époque. Ceci dit, plus d’un siècle auparavant, Henry Wrigley (directeur du Pennsylvania Geological Survey) avertissait aussi que la production de pétrole avait atteint son pic. Des avertissements dans ce genre, nous en avons depuis plusieurs décennies.
Pourtant, comme l’expliquait il y a quelques années Donald Boudreaux, professeur d’économie à l’université Georges Mason, arriver à court de pétrole « n’est pas tant une question de physique que d’économie. Et l’économie nous montre que nous n’arriverons jamais à court de pétrole. »
Jamais ?
Oui, jamais. « Mon collègue Russ Roberts l’a très bien expliqué dans son livre Le Cœur invisible. Imaginez, dit-il, une pièce remplie de pistaches. Vous aimez les pistaches et pouvez en manger autant que vous voulez tant que vous jetez chaque coquille vide dans la pièce. Vous pouvez penser qu’après un certain temps vous les aurez toutes mangées. Après tout, leur nombre est fini. Mais… plus vous en mangez, plus il devient difficile d’en trouver de nouvelles au milieu du nombre croissant de coquilles vides. À terme, cela ne vaudra plus la peine pour vous d’investir le temps et les efforts requis pour trouver les quelques pistaches restantes. Vous déciderez volontairement de les laisser dans la pièce sans les manger. »
Que ferez-vous alors ? Vous irez trouver une autre source d’énergie, bien sûr. Ce qui est exactement ce que nous finirons par faire avec le pétrole.
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Sur le web.
(*) A. Barton Hinkle est un rédacteur au Richmond Times-Dispatch, où cet article est apparu pour la première fois.