Terdav trail World Tour, Saint Jacques, 40e étape, la fin de la terre, la fin du voyage...

Publié le 02 juin 2012 par Sylvainbazin
Je vous écris donc de Fisterra. Mon voyage s'est achevé ce soir après une dernière journée de marche que je vais bien sûr vous raconter. Je puise mes dernières forces du jour pour rédiger ce récit et tenir ainsi mon "rythme", puisque j'aurai réussi à écrire quotidiennement, un défi dans le défi de ce voyage à pied sur le chemin de Saint-Jacques... Je suis bien fatigué, de cette fatigue qui se permet de retomber quand le corps a compris que le répit allait venir: mes épaules, jusqu'à présent très vaillantes, me font vraiment mal, les jambes sont un peu faibles, j'ai un peu pris froid. Mais je vais avoir un peu de temps pour me requinquer. Ce matin, l'hôtelier (cette fois c'était le papa) de Picota m'a reconduit là où sa fille m'avait embarqué hier. Il n'est pas très tôt, mais j'ai pu ainsi récupérer un peu et profiter d'un vrai bon petit déjeuner qui me change des maigres rations de la plupart des auberges espagnoles. En plus, il fait beaucoup moins chaud et le ciel est très couvert. Léger crachin, brume... Un temps qui me va bien, en fait, et que je trouve très adapté au paysage. Je navigue en effet en pleine lande. Terre celte, bruyères en fleurs, jeu de nuages sur les collines. Ca grimpe en effet pas mal. Je me sens très heureux, une certaine fierté malgré tout m'envahie par moment, le final est proche. En même temps, la fatigue est vraiment présente maintenant. J'avance bien moins vite, je sens qu'il faut que cela se termine, malgré le plaisir que j'ai eu à voyager ainsi pendant ces six semaines. Je suis presque seul sur le chemin. Comme hier, je vais croiser une petite dizaine de marcheurs aujourd'hui. Je profite donc pleinement de la tranquillité des lieux, de leur beauté parfois un peu austère. Je double quelques chapelles, des calvaires rustiques s'élèvent dans le brouillard. Et puis, au bout d'une quinzaine de kilomètres de marche, le ciel s'ouvre. L'océan est là. Je touche au but. J'étais parti des rives du lac du Bourget, me voilà sur celles de l'Atlantique. Je fais une pause déjeuner, c'est curieux pour moi de penser que c'est la dernière du voyage, à Cee, où je me laisse tenter par des langoustines. Un peu de proteines me fera du bien. Je repars cependant avec difficulté (et pas seulement à cause du café arrosé d'eau de vie qu'on me sert généreusement à la fin du repas). Dans la rue, un homme tient à me féliciter et me serrer la main pour le chemin parcouru. Le pélerin est respecté et fêté ici. Tout le monde ne vient pas jusque là non plus... Les derniers kilomètres sont très beaux, très agréables, maritimes à souhait. l'océan abrite mes pas, mais ils sont fatigués. Je peine dans les montées, traîne sur le plat... qu'importe finalement, je ne suis pas pressé, l'essentiel est d'arriver et de profiter encore, malgré la fatigue. J'entrevois maintenant le cap Finisterra. Décidément, la météo est avec moi: maintenant il fait beau et la vue est dégagée, splendide. J'entre dans Fisterra, continue ensuite, à une vitesse vraiment lente, sur la route qui conduit tout au bout de la terre, à la pointe occidentale de l'Espagne. J'y arrive enfin... le phare est proche. Sur le parking, car l'endroit est très fréquenté mais pas tellement par les pélerins, j'aperçois un groupe et une voiture que l'on manoeuvre avec force bruits et recommandations: ce sont mes italiens de l'autre jour! Ils me reconnaissent, applaudissent, me prennent en photo. J'ai presque l'impression d'etre à l'arrivée d'une course! Eux sont arrivés ce matin à Santiago et on loué une voiture. Et puis me voilà à nouveau seul (enfin presque, beaucoup de monde dans cet endroit mythique et symbolique) pour les derniers mètres de mon pélerinage. Je contourne le phare et descend jusqu'à la pointe. Je ne peux aller plus loin. Je pose un instant mon sac, m'assied sur une pierre, proche d'un parterre de marguerites qui pousse là, tout proche des flots. Malgré le groupe d'espagnol qui à côté de moi se demande si ils vont commander du vin blanc ou rouge pour le dîner, je prends un moment pour plonger mon regard dans l'infini de l'océan, dans le bleu de l'horizon. Il me revient à l'esprit les derniers vers des Tragiques d'Aggripa D'Aubigney: Seul, en raison je me fonde, pour de mon âme voir la grande âme du monde (...)...Le coeur ravit se tait, ma bouche est sans parole, tout meurt, l'âme s'enfuit et reprenant son lieu, extatique se pâme au giron de son dieu"... Une joie intérieure m'habite en tous cas. Une joie différente de celles que j'ai pu éprouver jusqu'à présent, notamment lorsque je gagnais des courses... mais le sentiment d'un certain accomplissement sans aucun doute. Je peux maintenant regagner tranquillement le village, me laisser savourer le meilleur repas que j'ai fait enEspagne. Et faire un petit tour, sans mon sac, sur le port. Demain, je rentre chez moi.