Soudain, un frisson me parcourt le long du dos, de là en bas à là en haut. Et si on avait cherché à saboter ma caisse pour que je me fourre dans le fossé au premier virage.
A qui cela profiterait il ? Bonne question, que je me félicite aussitôt de m’être posé.
En moins de temps qu’il n’en faut à Eric Besson pour changer d’opinion et parce que j’ai la chance d’avoir un esprit extremement vif, j’inventorie les personnes qui auraient un interêt quelconque à me transformer en bruschetta milanaise. Mon chef qui attend mon rapport ? le voisin du troisième ? le nouveau venu dans la boite qui veut ma place ? l’idiot de téléconseiller à qui j’ai gentillement conseillé de retourner vaincre son begaiement énervant ? la pouf avec son Chihuahua ridicule qui semblait dégoutée de la mare de bave laissée par mon fidèle compagnon sur son hamster aboyant ? la pervenche qui a essuyé mes insultes devant son refus de stopper la rédaction du PV ? l’élu municipal que j’ai traité d’arriviste ? le petit nazillon trop fier d’exhiber devant moi son tract bleu marine et trop honteux de se retrouver avec ledit tract en guise de suppositoire ? un mari cocu et jaloux ?
J’ai subitement conscience d’avoir beaucoup plus d’ennemis que je pensais. Si j’échappe à cet attentat, faudra que je prenne l’habitude de surveiller mes arrières avec un peu plus d’attention. Pourtant, je suis du genre prudent. Dans les restaurants, je ne tourne jamais le dos à l’entrée ou à une fenêtre, j’ai pour habitude de toujours faire gouter mes plats par ma gonzesse. Gonzesse que je prends bien soin de renouveler régulièrement, histoire d’éviter toute résistance aux poisons.
Mais aujourd’hui, mezigue n’a rien vu venir. Sans doute que la soie fine et transparente de la chemise de noye de ma charmante hôte a fait baisser mon seuil de vigilance. Bien fait pour toi mon grand, t’aurais du rentrer chez toi après le diner, comme un bon petit gars.
Tout cela file dans ma tête en quelques secondes, c’est dire à quel point mon esprit carbure. Je continue ma course folle au volant d’une auto risquant à tout moment de devenir incontrôlable.
C’est à cet instant que j’aperçois au bout de rue, une enseigne me laissant imaginer un garage de réparation de voitures.
Bon sang, j’espère qu’il ne s’agit pas d’un mirage. Pourvu que je n’ai pas été drogué en plus ? Si c’est le cas, la gaziot veut vraiment ma peau. Il aura mit les bouchées doubles ce con.
Dieu merci – tiens voilà que je commence à Le remercier, je divague les mecs – heureusement, disais-je, je n’ai pas la berlue, c’est bel et bien une concession automobile qui se dresse devant moi.
Je me sens soudainement mieux, j’avance la tuture devant la porte métallique du gourbis. Je sors de ma caisse et pénètre dans l’atelier. Je suis immédiatement agressé par une musique infâme, un truc immonde qui innonde les ondes FM. Je m’annonce et un type sortant de sous une bagnole vient à … tu sais quoi ? à ma rencontre ! bravo si tu as trouvé. Il porte un bas de bleu de travail et un t-shirt graisseux. On se sert une paluche virile et huileuse, enfin surtout lui. Je lui explique ma péripétie et mon arrivée miraculeuse jusqu’ici.
_ Cherchez pas, c’est l’embrayage qui est en train de lâcher, m’annonce le chirurgien de la mécanique, après avoir ausculté mon carrosse.
_ Ah bon, alors c’est pas un sabotage ?
_ Ben non, pffff !! il se prend pour un agent secret le monsieur.
Bon, il commence à me gonfler le reservoir à patience, le graisseux. Et il en remet une couche en me donnant l’évaluation du montant des réparations…à ce prix là, le type a peut être les mains aussi noires qu’une plage bretonne, mais il doit avoir un compte en banque qui ferait saliver un inspecteur des impôts.
Un peu vexé de ne pas avoir été l’objet d’une terrible machination, je fais remarquer au virtuose de la clé de 12, que sa radio FM commence à me gonfler.
_ Ecoute, Gordini, il est hors de question que je laisse ma caisse dans ton boxon. Comment tes gars peuvent bosser avec un musique pareille. Tu m’as dit qu’il s’agissait de l’embrayage. Ca tombe bien mon gars, puisque j’ai justement un disque de Clutch qui tourne dans le poste.
_ Quoi ? Connais pas. Ici, on répare les bagnoles en écoutant NRJ, que ça te plaise ou non !
Sans chercher à pousser plus loin une conversation que je sens d’emblée stérile, j’opte pour l’option numéro 2; la claque dans la gueule.
J’administre donc aussitôt une mandale phénoménale au mécano. Surpris par la tartine de doigts qu’il vient de déguster, je profite d’un bref étourdissement pour lui régler son compte en lui envoyant mon 43 dans le menton. Le type vacille, ses pinceaux ne vont plus le tenir très longtemps. Il finit par faire connaissance avec le trottoir. Rencontre plutôt brutale et virile puisque le gars y laisse deux ratiche en guise de bienvenue.
Quant à moi, je remonte illico dans mon bolide, et afin de ne plus entendre le frottement de l’embrayage défectueux, je monte au maximum le son de Clutch.
Du bon rock Stoner, du brut, du pur, simple et bon comme une bière fraiche, un mélange subtil de rock garage, de blues, de funk et de métal. Bref, un bon vieux groupe amerloque à écouter en roulant, cheveux au vent, une bouteille dans une main et une petite pépée à portée de l’autre.
Voilà pis c’est tout.