Depuis la récente création de ce blog et la rédaction de mon premier article sur le superbe et terrifiant La Dame en noir, une idée simple mais souvent trop oubliée continue de me servir de règle principale, de garde-fou, dans mes différentes tentatives de critiques, certes inévitablement et bienheureusement subjectives, mais cherchant néanmoins à rester le plus possible construites, raisonnées et relativement argumentées. Cette idée peut se traduire par une injonction à la formulation peu poétique mais dont la nature à priori élémentaire a un réel besoin d'être rappelée sans détour à un grand nombre de spectateurs et, fort tristement, de critiques de cinéma (qu'ils soient amateurs ou professionnels) : IL FAUT PRENDRE CHAQUE FILM POUR CE QU'IL EST ! C'est quelque chose que j'ai déjà répété plusieurs fois sur cet humble petit bout d'internet qu'est Kick-Ass Movies, et qui n'aura peut-être jamais été aussi vrai que pour le dernier bébé de tonton Ridley.
"Take me as I am, baby !"
Réglons-donc d'emblée le premier problème qui peut se poser, lorsque l'on essaye justement d'identifier cet étrange objet cinématographique qu'est Prometheus : quel est réellement le lien entre ce film et le premier Alien (également réalisé par Ridley Scott, comme vous le savez) ? Cette simple question, en apparence toute bête, est le ciment de plusieurs débats animés sur la Toile et l'une des causes principales d'une flopée d'articles aussi stupidement inquisiteurs que complètement à côté de la plaque. Il suffit pourtant d'avoir vu les deux films et, facultativement, de faire quelques recherches sur des sites spécialisés (ce qui semble étonnamment ne pas traverser l'esprit de plusieurs rédacteurs "professionnels", apparemment payés pour ne pas trop se fatiguer), pour comprendre finalement et assez facilement ce qu'il est suffisant de savoir pour pouvoir apprécier le film : l'histoire de Prometheus se passe avant celle d'Alien, dans le même univers, mais avec d'autres personnages. Le reste, les détails, bien que très stimulants pour échanger des théories tirées par les cheveux entre potes geeks une fois la projection bien digérée (ce que je n'ai moi-même pas manqué de faire), n'est cependant pas primordial pour juger de la qualité intrinsèque du métrage. Nous ne sommes donc pas en face d'un prequel direct aux aventures de la belle Ripley, ni devant quelque chose de totalement étranger à l'espace sourd et effrayant du huitième passager. Cette direction permet alors à Ridley Scott de développer la mythologie qu'il avait à peine ébauchée il y a plus de trente ans, tout en proposant une relecture de son œuvre fondamentale sur un fond de nouvelles pistes non-traitées auparavant. Que demande le peuple ?
"En route, mauvaise troupe !"
Mais, de manière inattendue, cette orientation plutôt originale (sans être révolutionnaire non plus) semble profondément troubler une multitude de moutons égarés, ceux-là mêmes qui, paradoxalement, ont pourtant tendance à fustiger les remakes proprets et les suites n'osant pas radicalement se détacher de leur modèle tant respecté. Ne sachant plus où donner de la tête, les pauvres hères reprochent alors au métrage de se perdre dans des références soi-disant inutiles à la célèbre saga au lieu de carrément nous conter une histoire "inédite" (ce qui est pourtant le cas) ou, au contraire, lui déplorent un manque de tension et de peur étouffée en comparaison de ce que proposait son illustre aîné (pour ma part, j'ai souvent été pétrifié). Deux points de vue indéfendables lorsque l'on prend donc, comme nous le conseillons, Prometheus pour ce qu'il est : une nouvelle histoire dans un univers déjà connu, ce qui justifie tant sa différence que sa ressemblance avec le deuxième long-métrage de l'ami Ridley. Remettre en cause l'un ou l'autre de ces deux éléments revient ainsi, ni plus ni moins, qu'à nier l'identité-même du film, en lui reprochant arbitrairement de ne pas correspondre à nos attentes avortées (chose qui, personnellement, m'irrite au plus haut point).
"I am what I am"
Dans le même sens, tout espoir de découvrir ici une œuvre majestueuse et révolutionnaire dans la veine du 2001 : L’odyssée de l'espace de Stanley Kubrick, ne pourra que conduire à une certaine forme de déception et une dévaluation injuste des réelles qualités de ce Prometheus. Et l'on ne peut non plus, dans le cas présent, reprocher à un quelconque marketing de nous avoir induit en erreur, de nous avoir sur-vendu un film s'avérant au final très éloigné de ce qui nous avait été annoncé (et tant bien-même, aucune critique posée n'en tiendrait pour autant rigueur au film en soi), les différents éléments montrés en amont de sa sortie étant on ne peut plus clair sur le sujet : accroche "la recherche de nos origines pourrait mener à notre fin" + bande-annonce avec explosions, monstres visqueux, mutants hargneux et des phrases telles que "nous avons eu tort" ou "si vous ne l'arrêtez pas, il n'y aura nul part où rentrer" = on ne va pas ici trouver le sens de la vie en fumant de l'herbe martienne, mais plutôt tomber sur une bande d'extraterrestres pas vraiment chauds pour prendre l'apéro.
"Argh ! Y a du pastis dans mon casque !"
Ainsi, toujours si l'on se décide à prendre le film pour ce qu'il est et non ce que l'on voudrait qu'il soit, on se rend rapidement compte que Prometheus n'est clairement pas une œuvre philosophique agrémentée d'un joli enrobage SF et de quelques scènes d'action ou d'horreur pour maintenir le spectateur mollasson en éveil, mais bien un pur film d'horreur SF avec une bonne dose d'action et une légère touche philosophique pour renforcer l'intérêt de l'ensemble. On excusera alors plus facilement les approximations et autres incohérences du scénario, la plupart rattachées au comportements parfois peu réalistes de certains personnages, celles-ci étant presque inhérentes au genre horrifique, auquel le métrage appartient somme toute en grande partie (et il n'est pas si aisé de se détacher de codes quasi-ancestraux comme le fait intelligemment, par exemple, La Cabane dans les bois). Notons d'ailleurs que "l'inattaquable" Alien était déjà bien fourni en la matière, peut-être même plus que son actuel successeur, ce qu'aucun critique descendant Prometheus ne semble bizarrement se rappeler...
"Ouah, cet endroit fout grave les miquettes... Bon, on se sépare ?"
Mais à côté de ces errements assez classqiues et donc excusables, ce script mettant en scène l'expédition spatiale d'aventureux scientifiques à la recherche du grand "pourquoi", nous promet aussi et surtout d'exceptionnels et grandioses moments de cinéma ! Sans trop en dévoiler, je pense notamment à la succession d'événements "mutant/lance-flamme/opération", qui m'a laissé scotché à mon siège, le corps entièrement tendu et crispé comme lors d'un orgasme démesuré, pendant ce que je me souviens avoir duré au moins quinze bonnes minutes. Et quand je vois ce genre de passage dans un blockbuster d'une telle envergure, avec des décors, costumes et effets spéciaux tout simplement parfaits, le tout filmé avec une indéniable virtuosité (alors que l'on assiste d'habitude à de tels spectacles dans des productions à petit budget réalisées avec les pieds), je ne peux que cracher spirituellement aux visages des spectateurs faussement blasés, me lever de mon siège pour applaudir des deux mains et m'incliner devant la taille monumentale des corones de Sir Ridley !
"Maman, j'ai peur !"
D'ailleurs, en parlant de production et réalisation, il existe une autre raison qui a certainement pu amener quelques-uns à croire que cette relecture futuriste du mythe de Prométhée serait tout de même, scénaristiquement parlant, plus profonde que ce qu'elle est en vérité : les premières images dévoilées étaient d'une telle qualité qu'il était alors, quelque part, logique d'espérer découvrir une histoire aussi renversante que la maestria visuelle affichée. Et si le scénario du film, bien que très bon et ponctué d'instants extrêmement forts et véritablement marquants, n'est finalement pas parfait, il n'y a par contre aucune matière à tergiverser sur le second aspect : Prometheus est vraiment beau à en pleurer. Dès la scène d'exposition, on en prend plein les mirettes, ce qui continue généreusement avec la découverte du vaisseau donnant son nom au film, l’atterrissage sur la planète LV-223 ou la visite de l'imposant dôme extraterrestre s'y trouvant. Que ce soit au niveau de la photographie, des décors, des effets visuels ou de la réalisation aux plans subtilement cadrés et nous offrant une continuelle lisibilité, toute l'esthétique du métrage est sublime à s'en damner et, pour le coup, d'une cohérence totale, autant en soi qu'avec les autres volets "officiels" de la saga.
"OMG ! T'as vu la taille de ses trous de nez ?!"
Au rayon des points positifs, on peut aussi compter la musique, qui fait honorablement son office, et les diverses et très justes interprétations de Michael Fassbender (en robot humanoïde au comportement étrangement ambigu), Noomi Rapace (en scientifique guidée par la foi et doté d'un instinct de survie impressionnant), Charlize Theron (en maîtresse des lieux à la personnalité plus complexe qu'il n'y paraît) et Idris Elba (en capitaine de soirée prêt à y aller quand faut y aller). Bien trempés dans leurs personnages, ces derniers sont accompagnés par des rôles secondaires malheureusement plus effacés mais cependant nécessaires pour le déroulement de la trame (on manque toujours d'agneaux à sacrifier) et la crédibilité de la mission (on voit mal la compagnie Weyland financer un voyage de plusieurs milliards de dollars mais avec seulement six passagers, question de faire quelques minces économies sur le prix du billet), même si on aurait forcément aimé que certains d'entre eux soient un peu plus développés ou moins bizarrement caractérisés (le professeur Holloway et sa déprime d'ado attardé en tête de liste).
"Regarde comment je joue trop bien !"
Au final, si l'on associe un visuel fascinant et un scénario prenant s'orchestrant autour d'images percutantes, le tout baignant dans une ambiance saisissante, notamment grâce à une réalisation de haute volée et des acteurs principaux habités, Prometheus se révèle alors être rien de moins que ce qui nous avait été (réellement) annoncé : une nouvelle plongée en apnée, sensationnelle et renversante, dans l'univers d'Alien qui nous avait tant manqué. Et c'est déjà pas mal ! Le film reprend en effet à merveille tous les éléments qui ont fait le succès du premier volet, en nous présentant un monde inconnu à la fois crédible et intriguant, splendide et inquiétant, dans lequel se déroule un cauchemar hypnotique et haletant. Et si l'on rajoute à cela l'aspect métaphysique de l'intrigue et la pluralité des sujets du même ordre qui sont judicieusement traités (dont les relations "enfant/parents/mort" et "homme/machine/Dieu"), ainsi que l'élargissement et approfondissement de l'univers originellement créé, mais toujours dans un respect sans faille de ce qui avait déjà été fait, on se retrouve alors carrément en face de ce que la franchise Alien a donné de mieux depuis... Alien lui-même ! Après un Robin des bois pathétiquement mauvais au point d'en voir la tombe de Kevin Costner toute retournée (quoi ? Kevin Costner n'est pas mort ?), Ridley Scott assure ainsi son retour aux affaires sérieuses, et en passant par la grande porte qui plus est. N'en déplaise aux grincheux, Prometheus est à n'en pas douter, malgré une rude concurrence dans ce récent milieu fermé, le meilleur come-back d'une saga que l'on croyait terminée, mais que l'on est, pour le coup, plus qu'heureux de voir ressuscitée ! IT'S A KICK-ASS MOVIE, BABY !
"I'm back in black, bitch !"
Titre original : PrometheusRéalisé par : Ridley ScottDate de sortie française : 30 mai 2012