"On pouvait aisément dire que tout le monde y était, sauf les personnes qui n'étaient pas dans le coup"
Dans la famille des livres prenant pour décor nos vies virtuelles, je demande «Enjoy» de Solange Bied-Charreton. Enjoy, c’est un peu l’anti-Bildungsroman d’un jeune actif. La vie de Charles est ponctuée des vidéos postées sur ShowYou, avatar à peine édulcoré de Facebook. Il fait la rencontre d’une étudiante, férocement contre l’époque, et par l’intermédiaire indirect de celle-ci, d’un écrivain blasé, qui finit par s’isoler du monde. Plus qu’une critique des réseaux sociaux, l’opus est une réflexion sur notre société de loisirs. Du pain et du Facebook. Pour creuser tout ça, on a rencontré l’auteur. Extraits.
Votre roman est un peu une critique de la société des loisirs. Vous centrez l’intrigue, entre autre, autour de Show You, un réseau social. Alors? Il faut sortir des réseaux sociaux à tout prix?
Ce n’est peut être pas aussi radical. Mais c’est montrer la face noire. Dans un roman, il faut toujours être un petit peu caricatural pour révéler la vérité. Et si la vérité est un petit peu terne ou un petit peu émoussée, il vaut mieux l’augmenter en bien ou en mal. Je prends un réseau social. Je m’inspire de Facebook. Je le rebaptise ShowYou, ce qui me permet de mettre plus de potentialités, de rajouter, et également aussi de révéler à quel point les gens peuvent y perdre leur temps. Etre impudiques ou voyeurs.
Si ce n’est pas autour de Show You, quelle était l’idée principale du roman ?
Les nouvelles technologies, bon, alors c’est un support. Mais le thème profond, c’est l’ennui, le rapport entre ennui et loisir, sur la perte de sens, les gens, la perte de religion, la perte de goût de la vérité. Ce n’est pas du tout un roman sur la religion. C’est un roman sur la perte de sens de la vie, la perte d’intérêt profond,. C’est comme si je voulais décrire des adultes qui sont un peu comme des enfants, livrés à eux-mêmes. Et quoi de mieux que de perdre des heures sur un réseau social, en fait.
Donc, le réseau social finalement comme procuration ou…?
Déjà comme procuration pour la vie parce que mon personnage principal a une vie personnelle qui est très pauvre. Il ne voit pas grand monde, il n’a pas vraiment d’amis. Il connaît des gens mais ce ne sont pas ses amis. Il observe la vie des autres, il vit par procuration. Donc oui, le réseau social comme substitution d’un monde, mais également comme passe-temps au sens vraiment premier. C’est-à-dire pour éviter de voir le temps passer, pour échapper à l’ennui.
Enjoy, de Solange Bied-Charreton. Editions Stock. 2012