Google, et Facebook sont régulièrement cités sur cette question. Force est de constater que les grands groupes anglo-saxons jouent la carte de l’enlisement et fuient très habilement les remarques très pertinentes qui leur sont adressées sur la manière très peu orthodoxe dont ils exploitent l’information privée des usagers des réseaux sociaux.
Dans ce débat, une étape supplémentaire vient d’être franchie. Les premiers marchés passés entre Apple et des établissements scolaires (commercialisation de la tablette numérique d’Apple par l’IPAD) constituent un signal fort dans l’approche commerciale du marché éducatif français sous le prétexte du passage à la modernité numérique. L'éducation représente pour ces firmes un domaine pratiquement vierge (70% est sous contrôle public). Elle constitue un eldorado quasi inépuisable, notamment avec les projets d’édition numérique des manuels scolaires. Google va ouvrir l'équivalent du centre culturel à Paris mais à Berlin pour l'éducation. Le concept architectural que ces groupes ont défini pour prendre une place central au cœur du dispositif éducatif européen est celui de learning center avec la volonté de ringardiser à moyen terme la notion européenne de bibliothèque.
Les aspects positifs de cette révolution technologique ne doivent pas oblitérer les enjeux géoéconomiques, concurrentiels et sociétaux :
- Enjeux géoéconomiques : les Etats-Unis ont déclaré durant le second mandat de Bill Clinton qu’ils voulaient être le pays leader du marché privé de l’information. Cette déclaration surprenante de la part d’une autorité étatique dans un pays libéral souligne la dimension stratégique du système de production et de diffusion des flux informationnels, y compris ceux d’origine privée.
- Enjeux concurrentiels : les groupes américains ont pris une avance importante parce qu’ils ont su activer les leviers technologiques dans une optique de domination mondiale des différents marchés (commerce électronique, économie numérique, big data, opendata).
- Enjeux sociétaux : les polémiques sur la propriété intellectuelle et la liberté d’expression virtuelles dessinent peu à peu les contours d’une démocratie par la connaissance dans l’usage d’Internet et des réseaux sociaux.
Le XIXè siècle a généré la problématique du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La société de l’information crée de facto une nouvelle aire existentielle au sein de laquelle il est légitime pour un citoyen d’avoir le libre arbitre de son information personnelle ou privée. Or pour l’instant ce n’est pas le cas. Des firmes comme Google ou Facebook utilisent l’information personnelle ou privée mise en ligne selon des règles contestables et contestées.
D’ores et déjà, un certain nombre d’enseignants français refusent de mettre en ligne sur le réseau informatique de leur lycée, les notes de leurs élèves et les résultats des conseils de classe sous le prétexte qu’il n’ont aucune garantie sur l’usage qui sera fait de cette information. Les livraisons d’IPAD relancent ce débat très légitime. Apple est un système fermé qui ne communique pas sur l’usage de l’information stockée par le biais de sa technologie. A tire d’exemple, les journaux en ligne qui s’inscrivent par le biais de l’IPAD n’arrivent pas à obtenir de la société Apple la liste de leurs abonnés.
La distribution actuelle d’IPAD dans des établissements scolaires français ne présente pas de risque pour l’instant car elle est très limitée. En revanche, le Ministère de l’Education Nationale aura à gérer dans les années à venir le passage à l’économie numérique et la mise en circulation de tablettes numériques. Pour ce qui concerne l’IPAD d’Apple, l’accès à l’information pose deux problèmes majeurs qu’il est dangereux de laisser en suspens :
- Peut-on confier la gestion de l’information scolaire (production de connaissances par le biais de la tablette numérique et de la mise en place de l’édition numérique et mise en réseau à distance du système de notation) à une société qui a un système fermée?
- Le système fermé d’Apple lui donne toute latitude pour avoir un droit de regard sur la fabrication de la connaissance et présente un risque potentiel sur l’usage qui va être fait de l’information fournie par ou sur l’élève scolarisé.
Christian Harbulot