Olivier Védrine est conférencier de la Commission européenne (TEAM EUROPE France), Rédacteur en chef de l'édition russe de la Revue Défense Nationale.
Propos recueillis par Maria AFONINA pour LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI
Les relations bilatérales entre la France et la Russie vont-elles subir des changements sous l'impulsion de François Hollande ?Je suis très optimiste. Au cours de leur conversation téléphonique du 8 mai dernier, les deux Chefs d'État ont hautement apprécié le niveau de développement des relations russo-françaises. Ils ont exprimé leur intention d'assurer par des efforts communs concertés le développement progressif des relations entre la Russie et la France qui revêtent un caractère prioritaire pour les deux États. En outre, MM. Vladimir Poutine et François Hollande se sont mis d'accord pour entretenir des contacts réguliers lors des forums internationaux et par l'échange de visites. Et j'insiste sur la construction de cette relation amicale entre la Russie et la France, c'est-à-dire une relation franche et sincère.
La France et la Russie peuvent-elles jouer un rôle dans la situation en Syrie ?La France reste fidèle à ses valeurs et à ses engagements. La France condamne avec la plus grande vigueur la poursuite constante par le régime de Bachar al-Assad de la répression sanglante. Les événements de ces derniers jours en Syrie et au Liban manifestent une fois de plus le danger que constitue pour la région la dégradation de la situation en Syrie. Il est de l'intérêt de tous que soit mise en œuvre une transition démocratique répondant aux aspirations du peuple syrien. Ce que j'observe, c'est qu'avec nos amis russes, nous avons des vues ou des analyses qui ne sont pas exactement les mêmes. Mais ce qui est important, c'est que nous nous retrouvons toujours avec plaisir pour un dialogue toujours constructif et intense, un dialogue d'amis. C'est donc dans cet esprit que nous allons continuer à travailler avec nos partenaires russes pour parvenir à une résolution des dossiers iraniens et syriens. La Russie me paraît, personnellement, un interlocuteur privilégié pour résoudre cette crise. Elle vient encore de proposer ce mercredi d'organiser des pourparlers à Moscou entre le pouvoir et l'opposition syriens sous l'égide de l'ONU.
M. Hollande est-il favorable à ce que la France continue à vendre des armes à la Russie (comme pour le Mistral) ?Le président François Hollande respectera le contrat sur le Mistral. Compte tenu des besoins russes, d'autres ventes pourront intervenir.
Est-ce que vous trouvez positif que la Russie offre des financements via le FMI pour aider à résoudre la crise de la dette dans l'euro zone ?C'est positif mais ce n'est pas décisif. Je connais le pessimisme russe sur le devenir de la zone euro, voire sur l'existence même de l'Union européenne. Mais soyons réalistes : les Russes aisés se reposent avec plaisir en Union européenne. On peut d'ailleurs se demander ce qu'il adviendrait de la Russie si les prévisions pessimistes de beaucoup d'experts russes sur la zone euro ou l'Union européenne se réalisaient...
Quelle est votre perception du climat d'investissement en Russie ?La Banque mondiale a confirmé récemment ce que disait le FMI il y a quelques mois : le modèle de croissance russe est difficilement tenable à terme car il est trop dépendant du prix des matières premières exportées et la rente pétrolière ne s'est pas traduite par des investissements productifs assurant une suffisante diversification de l'économie et de l'industrie russes. Il faudra beaucoup de volonté politique au gouvernement russe pour améliorer significativement le climat desaffaires et permettre l'arrivée d'investissements directs étrangers nécessaires à la ré-industrialisation de la Russie.
C omment la Russie peut-elle minimiser l'impact négatif de l'affaire Magnitski sur ses relations avec l'Europe ?
La France suit avec une très grande attention l'enquête en cours, diligentée par les autorités russes, pour éclaircir les circonstances du décès de Sergueï Magnitski. Une procédure judiciaire a été lancée à l'encontre de plusieurs médecins de l'administration pénitentiaire russe n'ayant pas dispensé les soins nécessaires à Sergueï Magnitski. La Russie doit poursuivre son enquête pour déterminer l'ensemble des responsabilités individuelles, dans le cadre du respect de ses engagements internationaux et en tant qu'État ayant ratifié la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Les autorités russes doivent faire toute la lumière sur les circonstances du décès de Sergueï Magnitski et engager des poursuites contre les responsables.
Pensez-vous que l'Europe doive, comme les États-Unis, établir une " liste noire " des officiels russes impliqués dans l'affaire Magnitski (interdits de visa Schengen) ?La question mérite d'être posée. Les problèmes de gouvernance en Russie sont réels. Pourquoi l'Europe devrait recevoir des fonctionnaires qui ne respectent pas nos valeurs ? Pourquoi devrait-elle recevoir des fonctionnaires coupables de malversations ? Je veux faire confiance aux responsables russes et prendre connaissance des conclusions du rapport sur l'affaire Magnitski. Mais je sais aussi que la Russie doit faire face à de graves problèmes de corruption.
Comment voyez-vous le mouvement de contestation politique en Russie, comme une menace à la stabilité ou bien comme un développement positif ?Il est évident aujourd'hui pour tous qu'il existe une aspiration du peuple russe à davantage de liberté. Il faut la respecter. Il faut respecter la liberté d'expression. Ces manifestations sont donc très importantes pour la Russie, pour le peuple russe. C'est très positif. Je remarque aussi qu'en Russie, chacun peut dire ce qu'il veut sans chercher à rester "politiquement correct".
Etes-vous solidaire de l'opposition russe ?Il n'est pas question de solidarité. Un point de vue est exprimé dans le cadre de manifestations autorisées par les autorités. Je n'ai pas à me solidariser ou non avec les manifestants. Ne croyez surtout pas que, dans les couloirs de Bruxelles ou d'autres capitales occidentales, nous ne regardons pas avec une grande attention ces manifestations. Nous sommes solidaires avec le peuple russe dans son ensemble, nous respectons ses décisions prises dans le cadre des élections et nous respectons son droit de manifester dans un cadre légal conforme aux normes européennes.
La situation des droits de l'Homme en Russie constitue-t-elle aujourd'hui un point d'achoppement entre Paris et Moscou ?La situation des droits de l'Homme en Russie demeure un sujet de préoccupation. Nous suivons l'actualité avec attention. La question du devenir du Conseil présidentiel des Droits de l'Homme est importante. Des signes positifs peuvent être relevés mais les paroles doivent être suivies d'actes concrets. L'adoption d'une loi interdisant notamment le placement en détention provisoire de personnes soupçonnées pour la première fois de délits à caractère économique, l'annonce par la Cour constitutionnelle russe du prolongement du moratoire sur la peine de mort, la signature de la loi fédérale sur la ratification par Moscou du Protocole 14 de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, et l'autorisation de certaines manifestations de l'opposition démontrent que la Russie est capable de comprendre un dialogue amical et franc sur toutes les questions y compris celles concernant les droits de l'homme.
Comment évaluez-vous le potentiel de l'initiative visant à faire du russe une langue officielle de l'UE ?Ce potentiel est faible mais il existe. Son aboutissement dépendra du développement de l'activité de la société civile européenne russophone et/ou russophile. Personnellement, j'ai signé la pétition pour faire de la langue russe une langue officielle de l'UE. C'est une belle initiative que nous devons encourager, la langue russe et la Russie font partie de l'Europe !