HENRI MATISSE.
"[…] tout ce que nous voyons, dans la vie courante, subit plus ou moins la déformation qu’engendrent les habitudes acquises, et le fait est peut-être plus sensible en une époque comme la nôtre, où cinéma, publicité et magazines nous imposent quotidiennement un flot d’images toutes faites, qui sont un peu, dans l’ordre de la vision, ce qu’est le préjugé dans l’ordre de l’intelligence.
L’effort nécessaire pour s’en dégager exige une sorte de courage ; et ce courage est indispensable à l’artiste qui doit voir toutes choses comme s’il les voyait pour la première fois : il faut voir toute la vie comme lorsqu’on était enfant ; et la perte de cette possibilité vous enlève celle de vous exprimer de façon originale, c’est-à-dire personnelle."
Propos recueillis par Régine Pernoud, Le Courrier de l’Unesco, vol VI, n°10, octobre 1953
In Écrits et propos sur l’art, Hermann, 1972, p.321.
Voir le monde avec des yeux d'enfants, c'est le voir à partir de la vacuité, là où ne subsistent ni sujet, ni objet , quand la pensée qui cherche à saisir, conceptualiser, analyser le monde est passée à l'arrière-plan, quand la mémoire ne vient plus placer son voile noir sur le singulier des choses, laissant le "il y a" du monde surgir dans un éclat inouï et inconnu. C'est alors une vision nouvelle qui nait pour la première fois en même temps que nait le monde.
jlr
voir aussi ce beau texte de Jean Klein