« Nous avons un gros problème à résoudre».
Est-ce raisonnable d’assister à un colloque consacré à l’horizon 2050, c’est-à-dire à l’avenir à long terme du transport aérien ? On est en droit de se poser la question au terme de deux pleines journées d’échanges, «comment volerons-nous en 2050 ?» qu’a organisées à Toulouse l’Académie de l’air et de l’espace. Des interventions de qualité, des interlocuteurs d’une grande compétence, ont conduit les participants à rentrer chez eux empreints de grandes inquiétudes. En effet, ils ont découvert ou confirmé que les problèmes sont plus graves, plus nombreux, que les solutions envisagées.
Exemple révélateur, dû à la sagacité de John Green, spécialiste reconnu de la protection de l’environnement, membre de la Royal Aeronautical Society anglaise : pour réduire l’impact négatif des avions commerciaux, il faudrait qu’ils volent plus lentement, à une altitude moins élevée qu’ils ne le font actuellement. Il faudrait aussi limiter leur distance franchissable à pleine charge à 3.500 milles nautiques. Sans quoi ils consomment du carburant …pour transporter du kérosène. Une contradiction parmi beaucoup d’autres, et qui rappelle au passage l’échec commercial de la fausse bonne idée qu’était l’Airbus A340-500 très long-courrier. Pour un peu, il serait revenu à son point de départ sans escale, après avoir fait le tour du globe.
En s’efforçant de prendre un minimum de recul, pour créer des conditions opérationnelles acceptables à l’horizon 2050, de grands chambardements sont requis. Mais peut-être hors d’atteinte, à écouter les uns et les autres. Alain Garcia, ancien directeur général technique d’Airbus, président du comité de programme du colloque, est sans doute allé à l’essentiel : «nous avons un gros problème à résoudre, un problème de communication, le besoin d’un débat sociétal». Mais à quoi peut servir une énumération de problèmes à résoudre ? Surtout quand il s’agit de tendre vers plus d’efficacité espérer pour autant d’hypothétiques ruptures technologiques ?
On retrouve dès lors les grands classiques, par exemple la gestion erratique de l’espace aérien européen, laquelle qui n’a pas bénéficié de grandes avancées depuis 40 ans. Xavier Front, qui dirige l’unité Performance Review d’Eurocontrol, met en évidence des chiffres étonnants : un espace divisé en 700 secteurs dont 600 sont en surcapacité, quatre contrôleurs pour trois avions.
Et le passager, la qualité du service rendu ? On risquerait de l’oublier alors que le résultat, en allant à l’essentiel, est pour le moins médiocre : une vitesse moyenne réelle, de porte à porte, est d’à peine 200 km/h. François Bellanger, de Transit City, qui se présente audacieusement comme un «citoyen voyageur», dénonce la pauvreté du discours des compagnies aériennes et des avionneurs. Il s’en prend notamment aux aéroports, à «une logique aéroportuaire d’abattoir». Philippe Jarry, grand ancien d’Airbus, lui avait répondu anticipativement, formulant une question pour l’instant sans réponse claire : la qualité est-elle compatible avec la quantité ?
On n’ose plus évoquer à voix haute la notion de confort. Les formalités, dès l’arrivée à l’aérogare, sont compliquées, lentes, désagréables, d’autant que l’inévitable fléau de la sûreté s’est abattu sur le monde aérien. Du coup, un terme franglais jadis cher à l’IATA et aux compagnies a tout à fait disparu, «facilitation». D’autant que les grands aéroports ont pris l’allure de véritables labyrinthes, que les flux de voyageurs sont mal régulés, que la bataille des bagages n’est toujours pas gagnée. Il est vrai qu’elle met en scène 30 millions de valises par jour.
Dans ces conditions, du point de vue du consommateur, peu importe que le taux de progression du trafic oppose les experts : aujourd’hui, le bilan est pour le moins incertain, avant même le doublement attendu dans les 15 prochaines années, ou encore l’augmentation bien plus modeste que prédisent les Malthusiens.
On finirait par l’oublier : les avions de demain, ceux de 2030, voire 2050, sont dès à présent en cours de développement. Dès lors, l’efficacité du «système» pourrait être accrue mais seuls nos arrières petits-enfants bénéficieront peut-être d’un transport aérien qui aurait comblé son retard après avoir été débordé, dépassé par son succès. Le constat de carence n’est pas loin.
Reste le bilan des progrès acquis à ce jour. Eckard Seebohn, représentant de la direction générale de la mobilité et des transports de la Commission européenne l’a fort opportunément rappelé. Depuis l’époque des premiers Boeing 707, le niveau sonore des avions commerciaux a reculé de 20 décibels, la consommation de carburant par siège a diminué de 82%. Les colloques servent aussi à répandre la bonne parole.
Pierre Sparaco - AeroMorning