Le 22 mai 2012, a été annoncée la nomination de Pierre Lescure, l’ancien Président de Canal +, à la présidence d’une mission de concertation sur l’avenir de la loi Hadopi du 12 juin 2009. Les médias ont largement repris l’information, Pierre Lescure étant une personnalité proche des industriels de la musique et du cinéma.
Par Roseline Letteron.
Le 22 mai 2012, a été annoncée la nomination de Pierre Lescure, l’ancien Président de Canal +, à la présidence d’une mission de concertation sur l’avenir de la loi Hadopi du 12 juin 2009. Les médias ont largement repris l’information. Certains ont insisté sur l’intervention du ministre de la culture, Aurélie Filipetti, qui tient manifestement à gérer ce dossier, écartant de facto la nouvelle ministre de PME et de l’économie numérique, Fleur Pellerin. D’autres ont mis en évidence la personnalité de Pierre Lescure, personnalité proche des industriels du secteur.L’espace des lobbys
Il est plus difficile de s’interroger sur les éventuelles modifications de la loi Hadopi, susceptibles d’intervenir dans les mois à venir. Les promesses de campagne de François Hollande sont restées imprécises sur ce point. Sans doute parce que la gauche est partagée entre les « libertaires » qui souhaitent l’abrogation du texte assortie d’une licence globale taxant les fournisseurs d’accès (FAI), et les acteurs culturels qui veulent, avant tout, la protection des droits des auteurs et créateurs.
Pour le moment, on peut au moins envisager quelques évolutions possibles, sachant que le premier rapport de l’autorité indépendante instituée par la loi Hadopi se présente, avant tout, comme un instrument de communication destiné à montrer l’efficacité du texte.
La liberté d’accéder à internet
La disposition la plus discutée de la loi Hadopi est évidemment celle qui permet la suspension de l’accès à l’internet de l’abonné coupable de téléchargements illégaux. Cette mesure est l’ultime sanction après plusieurs avertissements de l’internaute par l’autorité indépendante Hadopi, et s’inscrit dons dans une stratégie connue sous le nom de « riposte graduée ».
Le Conseil constitutionnel a imposé l’intervention du juge judiciaire pour prononcer une telle sanction, dans sadécision du 10 juin 2009, imposant une modification de la loi en octobre 2009. Il estime en effet, « qu’en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et à l’expression des idées et des opinions« , le droit à la libre communication des pensées et des opinions garanti par l’article 11 de la Déclaration de 1789 implique « la liberté d’accéder à internet« .
Riposte graduée et neutralité du net
Cette « riposte graduée » susceptible d’aboutir à une suspension de l’accès à internet est, par ailleurs, incompatible avec le principe de neutralité du net. D’abord formulé aux Etats Unis, il vise à affirmer l’égalité de traitement des flux de données, excluant toute discrimination à l’égard de la source, de la destination ou de contenu de l’information transmise sur le réseau. Le principe de neutralité interdit donc les restrictions d’accès à internet. Sans avoir stricto sensu, une quelconque valeur juridique en droit français, le principe de neutralité est repris par plusieurs organisations internationales, et notamment l’OSCE.
Tous ces éléments concourent à fragiliser cette sanction considérée comme injustement sévère, d’autant qu’elle touche souvent, non pas l’internaute indélicat, mais l’ensemble de son entourage. Là encore, la sanction pèse de manière très différente selon les familles, celles qui ne disposent que d’un seul accès se trouvant plus lourdement pénalisées. La suspension de l’abonnement pourrait donc disparaître de la gamme de sanctions possibles contre les internautes, ce qui ne signifie pas l’abandon de toute répression contre les téléchargements illégaux.
D’autres évolutions, plus conjoncturelles, pourraient intervenir, en particulier dans la composition de l’autorité indépendante. Nul n’ignore que la Présidente d’Hadopi et ses principaux collaborateurs ont dressé un bilan particulièrement optimiste, pour ne pas dire gonflé, des résultats obtenus depuis la création de cette institution. Et ces statistiques ont été largement utilisées lors de la campagne électorale du Président Sarkozy. La question est alors posée de la pérennité d’une autorité pas très indépendante.
Pour le moment, rien ne permet de penser que la loi Hadopi sera abrogée. Il est probable, en revanche, qu’elle sera modifiée pour mettre en place une nouvelle forme de « riposte graduée ». C’est précisément le rôle de la mission Lescure de trouver un consensus. Ce n’est certainement pas chose facile dans un secteur dominé par de puissants lobbies.
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