Opinion. Par Marc Laffont
Ce billet s’adresse à ceux qui, comme moi, ont gardé suffisamment d’optimisme et de naïveté pour penser que voter sert encore à quelque chose. Les autres trouveront ça bien insuffisant: trop peu, trop tard. Il se pourrait qu’ils aient raison…
Curieuse question
En effet, question à la fois sotte et grenue, au premier abord :
- Il existe un parti écologiste en France, Europe-Ecologie-Les Verts (EELV).
- Il existe bien d’autres mouvements (CAP 21, MEI…) mais cette offre va se limiter à quelques circonscriptions seulement.
Donc EELV. Soit. Mais en France, on dispose d’une subtilité électorale que le monde entier nous envie, ou pas : le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Vous pouvez chercher, vous ne trouverez pas beaucoup de pays vraiment démocratiques en Europe à avoir adopté ce brillant système pour faire élire leurs députés.
Vous ne trouverez pas non plus beaucoup d’exemples où la répartition politique des élus à la chambre basse soit à ce point éloignée du choix des électeurs exprimé au premier tour. C’est le charme de ce concept : avec 40 % des voix au premier tour, on peut espérer emporter 70 % de sièges au second. Conséquence, vous n’auriez pas souvent l’opportunité de disposer au second tour d’un candidat estampillé écolo, d’où qu’il vienne. Mais pas de panique: le système électoral, dans son infinie bonté, a prévu la parade. Il suffit de passer des alliances et des accords de réciprocité avec des partenaires.
Ce serait pas mal, si les partenaires étaient à peu près de même poids. Mais pour un parti créé vers 1984 (les Verts), il a toujours été difficile d’exister face à des partis plus anciens et surtout, bien ancrés avec leurs réseaux d’élus et de notables. L’accord se résume donc à quelques miettes pour les partenaires, qui finissent satellisés autour de l’astre dominant. Oui, astre, c’est un peu surfait. A prendre ou à laisser.
Comme c’est ça ou rien, et bien on s’en contente. Quitte à manger régulièrement son chapeau (même pas en coton bio). Mais sans désespérer de grignoter un petit quelque chose d’autre de temps en temps : un maroquin, un siège d’administrateur au Conseil Bidule...
L’espoir fait vivre. D’ailleurs, on l’a inventé pour ça. Mais quand un élu écolo est élu avec davantage de bulletins roses que de bulletins verts, sa marge de subversivité est restreinte. Tandis que le rose pur peut lui se contenter d’arborer un peu de vert au revers de son veston, quand la météo politique et médiatique s’y prête. Et revenir tranquillement dans sa circonscription satisfaire les lobbies locaux, rarement portés sur la chose environnementale, si ce n’est pour la détruire, sans crainte particulière d’ailleurs. L’accord national assure en principe le report du suffrage vert indépendamment de l’éco-compatibilité des décisions prises localement ou au Parlement. Si on peut avoir la margarine industrielle et l’argent du beurre bio, pourquoi donc changer de stratégie?
Ce petit manège peut durer longtemps. Largement de quoi engager 4 ou 5 Grenelles et monter des dizaines de comités Théodule chargés de l’écoblanchiment médiatique. Et pendant ce temps là, les seuls succès environnementaux obtenus, s’il y en a, le seront grâce à la Cour de Justice Européenne. Pas grand chose d’autre à attendre.
Alors, que faire ?
Que l’on soit élu de droite ou de gauche, la cause environnementale ne fait pas gagner d’élection, car les électeurs à la fibre écolo ne se positionnement pas sur ce seul critère au moment de glisser leur bulletin dans l’urne, au contraire des chasseurs, susceptibles de voter comme une orgue de Staline (pas très subtile mais efficace) pour le candidat qui cèdera au plus grand nombre de leurs caprices; et en se moquant de tout le reste. Le pouvoir de nuisance, il n’y a que ça qui marche.
C’est là que je veux en venir.
Il faut donc qu’un élu, ou un candidat postulant -mais surtout le sortant- comprenne qu’un positionnement anti-environnemental est susceptible de lui faire perdre l’élection.
Au premier tour, on choisit, au second tour on élimine, dit-on. J’invite donc tous les électeurs de sensibilité écolo ayant prévu de se rendre dans les urnes lors des élections législatives à suivre ces quelques principes :
Au premier tour, choisissez un candidat d’un mouvement écologiste, s’il y en a un, de gauche, du centre ou d’ailleurs. Ou personne, si aucun ne trouve grâce à vos yeux. En fait, peu importe. Disons qu’un candidat qui se voyait déjà élu comprendra mieux d’où vient sa défaite si la mouvance écologiste rassemble un nombre significatif de bulletins au premier tour. C’est tout.
Finalement, dans un scrutin à deux tours, l’essentiel, c’est surtout le second : celui où on élimine. C’est donc là que la partie commence. Il faut se renseigner, non pas sur le programme, car par définition, un démocrate n’applique jamais son programme une fois élu, mais sur le bilan environnemental récent du candidat. Pour quoi et qui a t-il voté? Quoi et qui a t-il soutenu? Etc. Et qui a-t-il favorisé par ses interventions?
Il ne doit y avoir qu’un seul objectif : ne pas voter pour le sortant, s’il a causé significativement du tort à l’environnement par ses actes directs ou par ses soutiens, et ce, QUEL QUE SOIT LE CAMP AUQUEL APPARTIENT CE CANDIDAT. Peu importe si le challenger ne vaut manifestement guère mieux : le sortant doit comprendre, surtout s’il est « de gauche » que l’anti-écologisme est un facteur de perte d’élection.
C’est à dire qu’il ne faudra aucunement tenir compte des consignes de vote émanant des états-majors politiques au titre de la réciprocité : elle ne profite pas à l’environnement, seulement à quelques notables. Ne pas voter pour un candidat, ça ne signifie pas nécessairement voter pour son adversaire : cela s’apprécie au cas par cas, en fonction d’autres critères (quand même…).
Souhaitons qu’on puisse échapper à la pire des situations : les circonscriptions où il n’y aura pas de candidat EELV, ce parti soutenant directement un candidat environnementophobe socialiste ou apparenté dès le premier tour. Dans cette hypothèse, je ne vois aucune solution satisfaisante.
Critique majeure : « Mais vous ne pensez pas ça sérieusement, ça risque de faire perdre des élus au parti écologiste, qui n’en a déjà pas beaucoup ? » Rappelez moi… qu’est-ce qui a été fait pour l’ours dans les Pyrénées, durant les 5 années où le ministère de l’environnement était tenu par une écologiste ?
J’ai écrit à chaque député « vert », il y a plus d’un an, pour leur demander d’œuvrer à la création du délit d’incitation à destruction d’espèce protégée. Pas un seule réponse. Ni oui, ni autre chose. Et aucune avancée sur le sujet non plus.
Un caudillo de pays pourrait (conditionnel…) donner libre cours à sa haine du sauvage et à sa xénophobie viscérale en exhortant à l’élimination de plantigrade (d’origine slovène…) en toute impunité. Et que dire des milices associatives qui s’exonèrent statutairement des débordements de leurs adhérents ?
J’avais par la suite écrit aux responsables « Verts » au sujet de leur alliance électorale. Lettre ouverte publiée par la Buvette, en juillet 2011). Avec notamment une question : En échange de quelques circonscriptions réservées, le futur accord électoral prévoit-il un soutien systématique au candidat de gauche présent au second tour dans les centaines de circonscriptions législatives restantes, et ce, quel que soit son « profil environnemental » ?
Là par contre j’ai eu une réponse. Cette réponse, c’est OUI, mais rédigée en langue de bois (labellisé PEFC) :
« L’objectif des écologistes est de mettre en place des politiques écologistes qu’imposent les urgences sociales et environnementales que nous traversons. Nous n’avons pas le temps d’attendre d’être majoritaires pour mettre en place ces politiques. Il faut donc faire des alliances avec les partis progressistes. C’est la ligne de notre mouvement, validée par l’immense majorité des adhérents. »
Traduction : L’important, c’est d’avoir des élus, fussent-ils pieds et poings liés par le partenariat. L’alliance se fait avec des partis dits « progressistes ». Donc tout candidat présenté par les dits partis est réputé progressiste. Il n’y a pas, de fait, matière à examiner des cas particuliers. Qui n’existent pas. Rideau. Même pas un mot du style « nous serons vigilants à ce que les partis « progressistes » partenaires investissent des candidats compatibles avec notre philosophie de préservation de l’environnement »…
Autre critique : « Ça risque d’affaiblir la gôche à l’Assemblée, en la privant de quelques députés ? »
Quelques députés, c’est possible. Est-ce un risque ou est-ce un investissement ? Ce n’est qu’avec la peur de perdre pour motif environnemental que les députés et candidats à la députation intégreront, peut être, l’écologie dans leur programme. A droite comme à gauche en principe. Mais comme la droite a fusionné avec l’ultra-chasse, il y a (un peu) plus d’espoir avec la gauche.
Qu’un parti écologiste obtienne un groupe à l’Assemblée n’est pas une fin en soi. Ou alors, vraiment un groupe incontournable pour faire passer les lois. Et encore, à supposer qu’ils fassent vraiment passer l’intérêt de l’environnement avant le leur.
Ce dont nous avons besoin, c’est qu’une majorité de députés cessent de s’aligner sur le plus médiocre disant en terme d’environnement pour espérer être élu. Si vous voulez combattre les anti-environnementalistes de toute obédience, il faut avoir un pouvoir de nuisance supérieur au leur.
Il n’y a vraiment que trois leviers d‘action :
- L’Union Européenne, et notamment la Cour Européenne de Justice, surtout pour les mouvements associatifs.
- Le vote sanctionnant l’anti-environnementalisme, pour le citoyen « de base ».
- Toujours pour les citoyens, l’adhésion à une ou plusieurs associations de préservation de l’environnement. Ce qui les renforce dans l’optique du premier point.
Là aussi, attention aux faux-semblants : l’agrément « pour la protection de l’environnement » ne veut pas dire grand chose depuis qu’il est également attribué à des factieux prônant l’éradication d’espèces menacées.
On me rétorquera, avec raison, que tout ça ne permettra pas une véritable remise en cause de la logique de fonctionnement du système, seulement quelques aménagements à la marge. Business as usual, ou presque. C’est vrai. Mais pour l’instant, qu’espérer d’autre, quand la crise ravale la préservation de l’environnement au rang de dernier souci, alors qu’il s’agit justement d’un élément essentiel de la solution?
Des archaïques anti-environnementaux, il y en a une palanquée dans le parti à la rose. Pas forcément moins qu’au parti hégémonique de droite, d’ailleurs. Refuser de reporter son suffrage sur un fossoyeur local des écosystèmes, même quitte à le faire perdre et en contradiction avec l’accord national passé entre « dignitaires hexagonaux », peut contribuer à les faire réfléchir.
En attendant l’adoption en France d’un mode de scrutin limitant (un peu) la dérive à la fois hégémonique et féodaliste et intégrant de la proportionnelle, comme pratiquement partout en Europe.
J’ai le droit de rêver, moi aussi…
Marc LAFFONT