Cima Da Conegliano, un peintre sage et un peu oublié…
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Cima Da Coneglio, au Musée du Luxembourg
Son existence est assez mal connue. Il serait né vers 1460 et mort vers 1518. Il a travaillé pour l’essentiel à Venise, à une époque où triomphe une peinture splendide – celle de Vittorio Carpaccio, des Bellini et d’Andrea Mantegna. Venu d’une petite bourgade de la Vénétie septentrionale, Cima da Conegliano se fait remarquer par des dons exceptionnels. Et il ne tarde pas à être remarqué et apprécié par les amateurs de la Sérénissime République.
Comme on ignore presque tout de sa biographie, il ne nous reste plus qu’à faire parler ses compositions, qui sont présentées au musée du Luxembourg avec un soin presque austère. Une première remarque s’impose: c’est surtout un peintre de sujets religieux. On peut voir de délicieux sujets mythologiques, comme le Sommeil d’Endymion, Midas assistant au concours musical entre Apollon et Pan, Bacchus couronne Ariane, des œuvres qui se distinguent par leur poésie et le charme de leur traitement pictural, mais toujours de petite dimension. On remarque aussi, dans le catalogue, un tableau de caractère orientaliste, Un miracle de saint Marc: la guérison d’Anian, la seule œuvre qui le rapproche un peu de ses grands contemporains. Pour le reste, ce sont des tableaux d’église.
Ce qui frappe le plus dans son art, c’est d’abord la délicatesse d’exécution et une dignité sans emphase de ses figures, qui semblent peut-être un peu froides, mais néanmoins attachantes. Son style le rapproche, en fin de compte, plus de l’école florentine ou d’Antonello da Messina que de l’esprit de la peinture vénitienne. Il a un sens aigu des proportions, de l’équilibre, de la juste proportion. Voilà un artiste qui aime la géométrie et des relations mesurées. Observons attentivement la Vierge à l’enfant, entre saint Michel archange et saint André l’apôtre, qui se trouve à la Galleria Nazionale de Parme. Saint Michel, qui brandit sa lance, se détourne du groupe central, indifférent, et saint André, qui tient sa croix, paraît souffrir, les yeux fermés, la tête baissée.
L’étrange dispositif qui fait de la scène sacrée un moment dépourvu d’émotion, si l’on ne s’arrête qu’aux personnages, est rendu très délicat et sensible par la beauté du paysage dans le fond, par la manière de représenter les ruines et par la douceur qui émane de la madone. C’est en somme dans ce contraste que se produit l’émotion. Quand l’artiste peint Saint Jérôme dans le désert (vers 1512), le spectateur est saisi par les harmonies chromatiques du paysage magnifique, mais aussi par la présence de Jérôme assis devant la Vulgate surmontée d’un crâne. Le tout baigne dans une lumière douce, en dépit de l’âpreté du thème. Le lion est de la même couleur du rocher sous lequel il s’est abrité!
Pier Paolo Pasolini, évoquant un voyage en Vénétie conduisant à sa terre natale, le Frioul, décrit le changement imperceptible du paysage : le voyageur « sent quelque chose dans l’air. C’est sur les rives de la Livenza que s’achève la campagne peinte par Palma le Vieux et Cima ». Et c’est bien que ce que nous fait ressentir ce peintre surprenant, si grave et pourtant si subtil.
Gérard-Georges Lemaire
« Cima da Conegliano », Musée du Luxembourg, jusqu’au 15 juillet 2012. Catalogue : Giovanni Carlo Frederico Villa, RMN, 232 pages, 39 euros.