L’homme que Hollywood célébrait était un des plus grands maîtres espions d’Israël, et il avait procuré à son pays, une quantité impressionnante de technologies américaines…
Arnon Milchan est né en 1944 au sein d’une famille nombreuse dans la ville de Rehovot, alors une des plus dynamiques de la Palestine sous mandat britannique, sur une terre de vignobles et d’orangers autrefois cultivée par son grand-père.
Quatre ans plus tard, grâce à un vote des Nations unies, Rehovot se trouvait faire partie d’un petit pays de pionniers et de survivants des camps, bientôt assiégé par ses voisins arabes. Après la guerre, la région entama sa transformation en centre technologique et scientifique. La famille Milchan se lança dans l’industrie des fertilisants et la distribution de carburants. Après ses premiers succès, elle installa ses bureaux à Tel-Aviv.
Arnon fut donc élevé au milieu de l’élite ashkénaze (issue de l’émigration européenne) et se distingua rapidement par sa vivacité d’esprit et son hyperactivité. L’adolescent fut envoyé dans une école chic anglaise, afin de lui donner un vernis cosmopolite.
Il s’y distingua par ses talents au football et y fit aussi sa première expérience de l’antisémitisme. Après son service militaire, le jeune homme fut envoyé en Suisse pour y suivre des études de chimie et se préparer à travailler dans l’entreprise familiale de fertilisants. Mais en 1965, il dut interrompre brutalement ses études pour rentrer au chevet de son père, mourant. A 21 ans, il lui fallut reprendre les rênes de l’entreprise familiale. A cette époque, la société était au bord de la faillite et ses partenaires ne donnaient pas cher du nouveau P-DG.
En inventoriant les dossiers de son père, Arnon fit une découverte qui allait changer le cours des événements. La société n’était pas seulement, comme il le croyait, engagée dans le domaine agricole. Dans le plus grand secret, elle avait aussi développé une petite mais prometteuse activité d’import-export en armement ! Capitalisant sur cette première expérience, Arnon réussit à maintenir la société à flot et à la développer au-delà de tout ce que l’on aurait cru possible.
Totalement ignorant en matière d’armes, le jeune homme s’abonna à toutes les revues spécialisées de la planète, apprit par cœur les noms de tous les fabricants et les contacta tous en leur proposant de devenir leur représentant exclusif en Israël. Il obtint plusieurs rendez-vous et quelques contrats. Il fit à cette époque la connaissance de deux personnages capitaux pour son travail mais aussi pour le tour qu’allait prendre sa vie.
L’un d’eux était le célèbre Moshe Dayan, vétéran de Tsahal et ministre de la Défense ; l’autre, moins célèbre à l’époque, se nommait Shimon Peres : il était alors sous-ministre de la Défense après avoir été directeur général du ministère, en charge d’achats d’armes. Ce fut le début d’une relation qui allait faire basculer Arnon dans le monde obscur du renseignement.
Après quelques mois de fréquentation amicale, Peres informa Milchan du “grand secret” d’Israël : son programme nucléaire clandestin, développé avec l’aide des Français. Il lui présenta l’homme à qui il avait confié la sécurité du programme: Benjamin Blumberg, ancien responsable du contre-espionnage et de la sécurité au ministère de la Défense.
Ce dernier était en train de monter une agence secrète, chargée de se procurer l’équipement et les matériels indispensables au programme israélien, mais en principe impossibles à acquérir sur le marché légal. Cette agence, installée dans un bâtiment du ministère de la Défense, serait si secrète que même le Mossad ne serait pas informé de son activité.
Au début des années 1970, elle serait baptisée “Bureau de liaison scientifique” ou Lakam, et surnommée par certains initiés le “Mossad II”. Elle devait acquérir les équipements nécessaires au programme nucléaire par tous les moyens, y compris la tromperie, le vol et la force. En effet, à cette époque la relation avec la France était en train de se refroidir et il était urgent de trouver d’autres canaux d’approvisionnement.
Système de guidage de missiles, centrifugeuses, carburant pour fusées, équipement de vision nocturne, lasers… la liste des demandes allait bientôt ressembler à un inventaire à la Prévert et excéder largement les besoins du programme nucléaire pour couvrir tous les secteurs de la défense israélienne au fur et à mesure que les succès s’accumuleraient et que la notoriété du Lakam déborderait certains cercles étroits.
Une commission secrète de scientifiques fut formée pour définir les besoins prioritaires. Elle se réunissait chaque semaine pour établir les listes d’objectifs, précisant où on pouvait se les procurer. Qui s’en chargeait ensuite et par quels moyens? Les membres n’avaient pas besoin de le savoir. Pendant les années 1970, le Lakam fut si discret qu’aucune des agences de renseignement occidentales ne soupçonna son existence, alors même qu’il agissait sur la plupart de leurs territoires.
Dans son étude sur le système du renseignement israélien saisie par les Iraniens lors de la prise d’otages de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran en 1979, la CIA identifie correctement la recherche technologique dans les pays amis comme une des priorités israéliennes. Mais elle ne soupçonne pas l’existence d’une agence distincte chargée de cette mission. De ce fait, les soupçons et la surveillance du contre-espionnage restèrent longtemps focalisés sur les équipes du Mossad, laissant le champ libre aux francs-tireurs du Lakam. D’autant plus francs-tireurs que certains, à l’image d’Arnon Milchan, avaient sur le territoire américain une véritable et légitime activité économique.
Après avoir révélé à son ami Arnon les dessous de la politique de défense israélienne, et constaté avec satisfaction que sa motivation à servir Israël dans un environnement dangereux était inchangée, Shimon Peres le mit entre les mains de Benjamin Blumberg, dont le jeune entrepreneur allait devenir un des plus importants agents. En apparence, le quinquagénaire Blumberg tenait plus du bureaucrate que du maître espion, avec son physique quelconque, sa voix douce et son air sinistre. Mais les deux hommes développèrent rapidement une amitié durable, au point que Milchan fut vite considéré au sein du service comme le chouchou du patron.
Aux yeux de Blumberg, l’audacieux et créatif Arnon Milchan correspondait parfaitement au profil d’agents qu’il souhaitait recruter pour compléter son réseau d’attachés militaires : des hommes d’affaires légitimes, avec de véritables activités, et suffisamment patriotes pour prendre des risques au service du Lakam. On le forma donc à toutes techniques qu’il aurait besoin de maîtriser au cours de ses missions : comment créer des sociétés écrans, jongler avec les comptes bancaires offshore, la technique des faux documents de destination pour le commerce d’armes, etc.
Des compétences qui lui seraient également d’une grande utilité pour développer ses affaires. Arnon reçut aussi une formation sur le recrutement et la manipulation de sources. Et il se fit la main avec quelques petites “courses” pour le Lakam. Besoin de 1000 tonnes de perchlorate d’ammonium ? De radars de précision ? A chaque fois, Arnon trouvait la solution. Pas de doute, il était prêt pour des missions à risque…
Après quelques mois d’immersion dans le monde du renseignement, Milchan put prendre l’initiative et surprendre ses recruteurs. Il fit à ses amis Shimon Peres et Moshe Dayan une proposition qu’ils ne pouvaient pas refuser. D’ores et déjà, sa société était le représentant non exclusif en Israël de plusieurs industriels de l’armement et de l’aviation.
Si le ministère de la Défense expliquait de façon officieuse à ces industriels que Milchan était dorénavant le point de passage obligé, ce dernier s’engageait à reverser ses commissions sur les contrats aux fonds secrets du ministère, et donc du Lakam ! Les commissions seraient versées par les industriels sur des comptes secrets à l’étranger, ce qui permettrait ensuite de financer des missions qui ne devaient laisser aucune trace.
De facto, Milchan devenait le banquier occulte des grosses opérations secrètes du renseignement israélien à l’étranger : non seulement celles du Lakam, mais aussi parfois celles du Mossad. Lui seul connaissait l’ensemble des comptes ouverts un peu partout dans le monde et les avoirs disponibles dans chacun d’eux. En fonction des besoins, il faisait mettre à disposition de tel agent dans tel pays une somme en liquide dont la provenance serait impossible à établir. Il pourrait aussi s’en servir pour régler des achats de matériels… ou pour payer une rançon ou un pot-de-vin.
Ce qui ne signifie pas que Milchan soit informé de chaque mission en détail: il devait en savoir le moins possible, uniquement ce qui était nécessaire pour mettre à disposition une certaine somme à l’usage d’une certaine personne… Ce seul rôle donnait au jeune homme un pouvoir considérable, mais ses ambitions ne s’arrêtaient pas là.
L’entrepreneur fit à ses amis une deuxième suggestion : il offrit d’établir notamment aux Etats-Unis des filiales de son groupe, qui serviraient de couverture aux activités du service. Il devenait ainsi un rouage essentiel du dispositif. Ce qui ne pouvait avoir que des effets positifs sur son business avec le ministère de la Défense.Comment en effet refuser à un allié si précieux un petit coup de pouce de temps à autre, surtout s’il ne laisse pas de trace ?
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Après la guerre de Kippour de 1973, qui avait montré pour la première fois l’armée d’Israël en difficulté, la priorité du ministère de la Défense fut à la modernisation de ses troupes. Il devenait crucial qu’elles disposent toujours des technologies les plus en pointe pour ne pas se retrouver acculées lors de la prochaine guerre. De leur côté, les Etats-Unis accordaient désormais à Israël des aides toujours plus considérables… à dépenser auprès de l’industrie américaine. Ce fut une période faste pour les entreprises d’Arnon Milchan et pour ses clients, en particulier Raytheon.
C’est lors d’une visite privée dans les installations nucléaires de Dimona que Milchan entendit pour la première fois parler du krytron. Les krytrons sont utilisés dans les photocopieuses et nombre d’appareils médicaux. Ils ont aussi un usage comme détonateur de bombe nucléaire, ce qui est moins connu.
Une seule société les fabriquait aux Etats-Unis à l’époque et leur exportation était sérieusement réglementée. En 1975, on demanda à Smyth d’en acheter quatre cents et, comme c’était la règle, il remplit la licence d’exportation de munitions requise pour ce type de matériel, qui fut cette fois refusée. En 1976, un nouvel essai fut à nouveau infructueux. Cette fois, la CIA commença à se poser des questions sur les activités de Milco.
Pendant ce temps, celles de Milchan continuaient à se développer un peu partout dans le monde. L’homme d’affaires fut informé par son mentor Peres du rapprochement en cours entre Israël et l’Afrique du Sud. Ce pays africain allait devenir le premier marché israélien pour l’armement. Cette fois encore, Milchan allait servir d’agent commercial à cette part de l’industrie israélienne, alors en plein essor. On demanda aussi à Milchan de seconder l’effort de réhabilitation médiatique tenté par le gouvernement sud-africain, qui consistait à racheter les journaux et magazines susceptibles de faire évoluer l’opinion publique internationale.
Après quelques séjours en Afrique du Sud, Milchan, de plus en plus mal à l’aise avec les réalités du régime, laissa vite tomber cette activité.
Pendant cette époque, il développa aussi des relations commerciales avec Taïwan, qui souffrait alors du rapprochement diplomatique entre la Chine continentale et les Etats-Unis. L’oncle Sam ne pouvait plus décemment vendre d’armes au frère ennemi taïwanais de ses nouveaux amis chinois, mais rien n’empêchait qu’Israël se substitue à lui comme partenaire commercial. C’est ainsi que jusqu’à 20 % du chiffre d’affaires de Milco fut réalisé à la fin des années 1970 avec Taïwan. Dans les années 1980, le rapprochement entre la Chine et Israël conduirait l’Etat hébreu à réduire à son tour ses exportations vers Taïwan, mais entretemps le groupe Milchan aurait bénéficié de plusieurs beaux marchés.
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En 1981, le Lakam changea de tête pour la première fois, sur décision du nouveau ministre de la Défense, Ariel Sharon, qui trouvait Blumberg trop proche de Peres à son goût pour un poste aussi sensible. Il le remplaça par Rafi Eitan, un ami et ancien du Mossad alors âgé de 55 ans. Eitan était déjà à l’époque une légende du renseignement israélien.
Ancien du Shin Bet et du Mossad, il avait commandé l’équipe qui captura Eichmann à Buenos Aires en 1960. A la fin des années 1960, il faisait partie de l’équipe qui travailla sur l’affaire NUMEC, permettant le rapatriement d’une grosse quantité d’uranium enrichi. Ce qui montre au passage que le Lakam n’était pas sans contact avec le Mossad, comme on l’a dit par la suite.
Dans les années 1970, Eitan devint directeur adjoint des opérations du Mossad. C’était un petit homme myope et presque sourd d’une oreille, mais il ne fallait pas se fier à son allure. John Le Carré prit Eitan comme modèle pour son personnage de Marty Kurtz dans La Petite Fille au tambour, qui traque sans relâche les terroristes palestiniens.
En 1976, Eitan quitta le Mossad pour travailler auprès de son ami Ariel Sharon, devenu conseiller de Rabin pour les affaires de sécurité. Puis il partit dans le privé, où il s’ennuya ferme. C’est pourquoi il accepta bien volontiers en 1978 de devenir conseiller antiterrorisme du Premier ministre Begin, à l’instigation de son mentor Sharon.
Et il sauta en 1981 sur l’opportunité de diriger le Lakam. Il avait conservé avec lui un fichier de sources et de sayanim du Mossad en territoire américain, pensant que certains noms pourraient lui être utiles. Parmi eux, un certain Jonathan Pollard, analyste du renseignement naval, affecté au centre antiterroriste de Suitland dans le Maryland.
Pollard était un Juif militant, choqué de voir que le renseignement américain ne partageait pas toutes ses informations sur le Moyen-Orient avec le Mossad. Il avait commencé à fournir des copies de rapports d’une grande valeur. Après plusieurs mois de production, le Mossad avait décidé de laisser cette source “en jachère” pour ne pas l’exposer inutilement. Eitan saisit l’occasion de la réactiver, dans un premier temps pour sa plus grande satisfaction, sans savoir que Pollard allait le mener à perdre son poste quelques années plus tard. (…)
Quelques jours plus tard, au Nouvel An 1983, un ou des cambrioleurs pénétraient dans les entrepôts et les bureaux de Milco et saisissaient les ordinateurs. Smyth ne put que déclarer l’effraction et répondre aux questions du FBI. Très effrayé par ce qui était en train de se passer, il mentionna les krytrons et le fait qu’il avait peut-être commis une erreur involontaire en les expédiant. Il tenta ensuite de joindre Milchan, qui ne répondit pas. Le Lakam était déjà passé en mode “contrôle des dommages” et Milchan avait instruction de ne plus parler à Smyth.
Le FBI ne tarda pas à mettre la main sur l’auteur du cambriolage, un adolescent qui avait stocké le produit de son larcin dans le garage de ses parents. Mais cela ne mettait pas un point final à l’affaire. Désormais le FBI s’intéressait de très près aux produits commercialisés par Milco, et resserrait son étreinte sur Smyth et son épouse, également salariée de la société.Pendant ce temps, Milchan avait cessé toute commande, et la société n’enregistrait plus aucune entrée de fonds.
Début 1985, Smyth était dans le collimateur de la justice américaine, qui avait obtenu la preuve des précédentes demandes de licence d’exportation de Milco pour des krytrons. Smyth ne pouvait donc plus prétendre avoir agi par ignorance des règles. Milco était la première victime d’un programme d’action des douanes, ironiquement baptisé opération “Exodus”, pour mettre fin à l’exportation de technologies duales. Sur le point d’être inculpé, Smyth s’envola avec sa famille. Ils arrivèrent en Israël comme touristes, alors que la presse américaine annonçait son inculpation. Sa présence sur le sol israélien devenait embarrassante. Il était temps de passer au niveau politique pour mettre fin à l’affaire.
Des représentants du gouvernement israélien expliquèrent à l’administration Reagan que les krytrons acquis par Israël avaient servi pour des applications militaires classiques, autrement dit non nucléaires. En toute bonne foi, Israël proposait de restituer ceux qui n’avaient pas été utilisés, ce qui fut fait.
Presque au même moment, Shimon Peres recevait la visite officieuse d’un conseiller de Ronald Reagan, qui sollicitait son aide pour obtenir de l’Iran la libération d’otages américains retenus au Liban. C’était le début de l’affaire “Iran-Contra”, dans laquelle Israël vendit des armes à l’Iran dans l’espoir d’obtenir des libérations d’otages.
Milchan n’y prit aucune part, son adversaire Nimrodi ayant préempté le marché afin de rétablir sa position en Iran. Ce que l’on peut en revanche observer, c’est qu’à partir de ce moment où l’administration Reagan sollicitait les Israéliens pour une mission clandestine des plus délicates, il ne fut plus question d’Arnon Milchan et des activités occultes du Lakam. De retour en Californie, Smyth dut en revanche affronter la perspective d’un procès des plus sévères : il encourait jusqu’à cent cinq ans de prison !
Entretemps, en novembre 1985, le public américain avait appris l’arrestation par le FBI d’un espion au service d’Israël : Jonathan Pollard, une affaire qui allait grossir jusqu’à devenir l’une des plus grandes crises entre Israël et les Etats-Unis. On commençait alors dans les médias à parler du Lakam. Le couple Smyth décida à cette époque de s’enfuir pour de bon, et partit s’installer en Suisse, avant d’emménager en 1986 dans la station balnéaire espagnole de Malaga.
C’est là qu’il devait être retrouvé par la justice américaine en juin 2001, pour une raison des plus banales: ayant atteint l’âge de 65 ans, et presque à bout de ressources, Smyth s’était risqué à faire valoir ses droits à la retraite auprès de la sécurité sociale américaine, calculant que l’énorme machine administrative ne ferait pas le lien avec un fugitif. Il avait tort.
Vingt ans après les faits qui lui étaient reprochés, Smyth fut donc arrêté et extradé vers les Etats-Unis. La justice le condamna à une peine de quarante mois de prison. Il fut libéré et mis en probation en 2005, et totalement libre en 2006.
Il serait raisonnable de penser que pendant toute cette affaire, ou du moins la période la plus chaude, entre 1983 et 1985, Arnon Milchan fit profil bas dans le monde des affaires et évita de visiter les Etats-Unis. Il n’en est rien. Dans les années 1980, le toujours hyperactif et insatiable Arnon Milchan ajouta une corde à son arc: après quelques investissements ponctuels dans le cinéma, il aspirait à devenir un producteur à part entière. Bien entendu, il ne pouvait pour cela faire valoir aucune expérience sérieuse du métier.
L’histoire d’Hollywood est d’une certaine manière celle d’un gouffre financier qui a vu défiler nombre de gogos richissimes, éblouis par ce monde de stars et d’illusion. Dans les seules années 1980, Sony (acquéreur de Columbia) et le Crédit lyonnais (dans l’affaire MGM) ont payé pour apprendre qu’un investissement dans un studio hollywoodien est rarement rentable et qu’on s’y fait plumer plus souvent qu’à son tour, avec le sourire. C’est dire si l’arrivée d’Arnon Milchan dans la Mecque du cinéma provoqua des ricanements, du moins chez ceux qui prirent la peine de l’écouter.
Néanmoins, avec la même détermination qu’il avait mis à apprendre le business des armes, l’entrepreneur décida de se réinventer une nouvelle fois comme producteur. Il n’est pas possible de livrer ici le détail de cette odyssée, que l’on trouvera dans sa biographie officielle. Le démarrage fut chaotique, mais témoigna d’une certaine qualité de jugement cinéphilique: Martin Scorsese (The King of Comedy, 1983), Sergio Leone (Il était une fois en Amérique, 1984) et Terry Gilliam (Brazil, 1985).
Trois fortes personnalités, trois tournages catastrophiques (dont le dernier se solda par un conflit ouvert avec le studio chargé de distribuer le film), mais à l’arrivée au moins deux films cultes. A l’issue de cette première séquence qui aurait pu tuer la plupart des producteurs expérimentés, Arnon Milchan reconnut qu’il fallait peut-être devenir un peu plus grand public. Après quelques essais moyennement convaincants, il acheta pour une bouchée de pain un scénario qui avait été rejeté par presque tout Hollywood. Et qui devint Pretty Woman, le “carton” de l’année 1990.
Depuis lors, plus personne ne ricane à Hollywood sur le passage d’Arnon Milchan, dont les productions naviguent entre le familial (les séries Sauvez Willy, Alvin et les Chipmunks, Fantastic Mr Fox), le film d’action (Under Siege, Mr & Ms Smith), le film de vampires et le polar haut de gamme (Heat, LA confidential). Devenu une figure du Tout-Hollywood, Arnon arrive même à être en affaires simultanément avec des ennemis jurés comme Summer Redstone, le patron de Viacom, et Rupert Murdoch, le propriétaire de la Fox. En 1991, surfant sur la vague de Pretty Woman, il a créé son propre mini-studio, New Regency, en association avec Warner et Canal +, et une participation de Silvio Berlusconi. Le premier gros projet du studio a été JFK d’Oliver Stone. En 2011, New Regency a signé un nouveau partenariat avec le studio Fox, qui doit courir jusque 2022.
Arnon aurait-il entretemps abandonné ses autres activités? Pas davantage. Tout occupé qu’il était à monter New Regency en 1991, il a aussi trouvé le temps au début de la guerre du Golfe de négocier pour le ministère israélien de la Défense l’achat express de missiles Patriot pour faire pièce aux Scud que Saddam Hussein menaçait de lancer sur l’Etat hébreu. Et, depuis lors, il reste un intermédiaire privilégié pour l’industrie d’armement du monde entier.
Officiellement, le Lakam a été dissous après le scandale de l’affaire Pollard en 1985.
Officieusement, il n’en continue pas moins ses activités sous un autre nom, partout dans le monde. Sauf aux Etats-Unis, affirme-t-on à Tel-Aviv. De son côté la famille Smyth essaie d’oublier toute cette affaire et vit avec de maigres ressources dans un camping-car en Californie. Arnon Milchan, qui fréquente aussi bien Brad Pitt et Angelina Jolie que Shimon Peres et Benyamin Netanyahou, est de ceux qui ont permis à Israël de mener à bien son programme de recherche nucléaire. Mais il serait étonnant qu’il s’arrête là, à seulement 68 ans. (…)
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