Aucun d'entre les hommes ne peut avoir de certitude absolue sur l'existence ou non d'un au-delà. Il doit se contenter de déchiffrer les signes qui lui sont donnés au cours de sa vie pour se faire une religion sur l'humaine destination.
François Hussy, dans ce premier volume, qui sera suivi de deux autres, nous propose d'entreprendre avec son narrateur un voyage de tous les vertiges, au cours duquel les notions d'espace et de temps sont complètement bouleversées.
Tout commence un beau soir à Genève, la ville natale du protagoniste de cette histoire à prédominance onirique. Un navire vient de s'immobiliser le long d'un débarcadère. Le voyageur, qui se promène sur le quai, a l'oeil attiré par son reflet rouge dans l'eau noire du lac. L'étrangeté de la suite débute par ce repère visuel, qui précède une première rencontre déterminante.
Le narrateur d'âge mûr, penché dangereusement au-dessus de l'eau, est en effet apostrophé par un vieillard inquiet, et désabusé, accompagné de sa chienne, Loulounette. Ce vieillard, Léo, a la certitude, autant qu'il peut l'avoir, du néant après la mort, tandis que son interlocuteur estime qu'il est plus scientifique de douter, peut-être parce qu'il vient de perdre son père et qu'il ne peut pas se résoudre à ne le revoir jamais.
Après qu'ils se sont quittés, le narrateur poursuit son chemin en suivant une inconnue sans la suivre, tout en ne s'autorisant, par égard pour Eléonore dont il vient de faire la connaissance, qu'à regarder le bas de son dos aux adorables fossettes, dénudé de même que son nombril, comme la mode de l'époque a l'extrême bonté de le permettre. Il ne sait pas encore que cette trop jeune femme pour lui va l'entraîner dans une fantasmagorie improbable.
Juste après lui avoir demandé de cesser de la suivre elle aperçoit derrière lui un homme qui la terrorise et lui demande de l'en protéger, et de s'enfuir avec elle. Elle descend précipitamment avec lui des escaliers qui dans son souvenir conduisent à des toilettes et qui en fait débouchent sur un métro qui n'existe pas à Genève... Ils empruntent ce métro qui les emportent très loin vers l'Archipel du Goulag... où des inconnus les arrêtent. Le voyage ne fait que commencer.
Le lecteur ne sait bientôt, pas plus que le narrateur, projectionniste de son métier et scénariste en gestation, si ce personnage qui s'exprime à la première personne est plongé dans un sommeil ou s'il est éveillé, s'il est mort ou vivant, si ce qu'il voit est réel ou illusoire, si sa vision de lui-même est intérieure ou extérieure. Bref ce voyage au-dehors et au-dedans de lui-même est bien vertigineux, d'autant que l'auteur nous dépeint avec quelque vraisemblance un univers surréaliste.
Quand le narrateur, avec le lecteur, croit reprendre pied, un rebondissement le pousse vers une autre aventure imprévue, mais qui a la vertu de satisfaire à sa connaissance de lui-même, suivie d'une plongée dans un abîme de perplexité qui renforce alors son sentiment de méconnaissance de lui-même. A la fin de ce volume, le lecteur, éprouvé et ravi d'avoir été ainsi ballotté, ne peut que se demander où l'auteur veut en venir et ne peut qu'avoir envie de connaître la suite.
Francis Richard
Dans un reflet rouge sur l'eau noire, François Hussy, 176 pages, L'Age d'Homme ici