Arthur dreyfus

Par Albrizzi
Belle gueule, belle plume : le nouveau lauréat du Prix Orange du Livre a tout juste 25 ans, déjà 3 livres et quelques prix à son actif. Il est aussi journaliste (Technikart, Positif, France Inter), réalisateur (la série Un film sans…, diffusée sur TPS Star) et scénariste. Abracadabra ? Rien d’impossible pour ce magicien professionnel spécialisé dans le mentalisme. Retenez son nom, si vous ne l’avez pas déjà vu, vous risquez de le croiser assez souvent dans les années à venir. 

Vous venez de recevoir le prix Orange du livre, est-ce une surprise ? Que ressentez-vous ?Cela m’a fait très plaisir même si je me suis promis lors de mon premier roman que je ne serai jamais fâché si un autre auteur remportait un prix à mes dépens, qu’il soit bon ou mauvais ! L’écriture est liée au doute, recevoir un prix est une validation de l’extérieur qui donne envie de continuer. Le Prix Orange rassemble des écrivains, des libraires et des non professionnels : j’aime l’idée que les personnes qui appréhendent le livre à tous les niveaux soient réunis dans un même jury.
Quelle est l’origine de ce livre ?Je venais de lire Le Rouge et le Noir : Stendhal s’était inspiré de l’affaire Berthet, un fait divers survenu à l’époque. Je me suis dit que je devais trouver à mon tour un fait divers actuel pour écrire mon prochain roman. Sans comparer ma démarche à la sienne, j’avais aimé sa façon de raconter cette histoire. Habituellement, je ne suis pas un grand amateur de fait divers, mais ce qui me fascine c’est le façon dont chacun se forge sa propre version, je voulais raconter et réfléchir à ce processus.
Vous écrivez à ce propos en préambule de votre livre : « La matière première du romancier ne colle pas aux molaires. Elle flotte autour de lui. Ce sont des larmes, ce sont des lignes. Celles, presque invisibles, d’un canard de province. Celles,  trop imposantes, des colonnes nationales. » Le fait divers dont vous vous êtes emparé, est celui de la petite Maddie McCann, disparue à presque quatre ans au Portugal pendant ses vacances avec ses parents. Pourquoi cette affaire vous a-t-elle fasciné ?Elle m’a servi de point de départ uniquement, je n’ai pas cherché à en savoir trop. Je voulais laisser libre court à mon imagination. J’ai autant de chances d’avoir vu juste que de m’être trompé. La vérité m’importe peu. C’est un roman.
Outre la Toscane, vous placez l’intrigue en Normandie à Granville, pourquoi ?Très précisément parce que je ne connaissais pas cette région. J’y suis allé pour la première fois début mai pour une signature, et les habitants de Granville m’ont félicité pour la manière dont j’avais décrit leur ville. Je voulais un lieu inconnu pour me sentir libre d’inventer le décor et les personnages.
La mère du petit Madec, Laurence, est un personnage fascinant. Elle est dans la maîtrise d’elle-même et ne supporte pas que l’un de ses fils lui échappe. Elle ne le comprend pas. Comment êtes-vous rentré dans sa tête ? Etes-vous attentif aux femmes en général, avez-vous posé des questions à des mères pour connaître leurs sentiments maternels, leurs réactions ?Je n’ai pas fait d’étude clinique sur la relation mère-enfant, ce qui est bien pour un romancier justement c’est de se tromper. Le caractère se construit au hasard. En général j’ai l’impression de bien comprendre les gens, je fonctionne beaucoup à l’intuition. Cela me joue d’ailleurs des tours, les personnes autour de moi se sentent parfois manipulées, mes relations ne sont jamais neutres, même si j’ai beaucoup d’amis. J’ai aussi le goût du détail ce qui s’avère précieux pour mes personnages. Le travail d’écrivain n’est pas conscient, nous sommes à la fois le cobaye et le scientifique qui l’observe. En outre, ce n’est pas une question d’âge je pense : on peut comprendre ce que ressentent les mères à 20 ans ou au contraire, ne pas les comprendre à 50. Mes personnages sont comme les boules de loto avant le tirage, ils s’entrechoquent entre eux, on ne sait jamais à l’avance lequel sortira. Les protagonistes se redéfinissent en permanence les uns par rapport aux autres. Ma narration est très construite, j’ai voulu rendre l’effet d’un miroir déformant.
Qui est Madec ?Un enfant poète, un peu magique, tout sauf conventionnel c’est pour cela qu’il désarçonne les adultes. Il a du charisme, il s’est construit son propre univers. C’est une fiction dans la fiction. Symboliquement il n’appartient pas à sa famille.
Vous êtes parfois moqueur, voir cynique. Vous critiquez une société du paraître.Je ne suis pas cynique mais réaliste, parfois ironique. La réalité est toujours moins jolie que la fiction. J’aime la vie, et ce n’est pas un livre purement réaliste.
Votre style est soigné, vous attachez de l’importance à la grammaire, à la construction de vos phrases. Etes-vous un amoureux de la langue française ?Oui, la qualité de l’écriture est importante à mes yeux, c’est pour cette raison que je n’aime pas la littérature américaine ni anglaise lorsqu’elle est traduite. La langue est souvent transparente dans les traductions, on privilégie l’action, la trame. Personnellement, j’essaie de faire quelque chose qui corresponde à notre époque, je ne veux pas écrire comme Flaubert ni Robbe-Grillet. Je suis un peu maladroit pour décrire mon propre style, en outre je n’ai pas une œuvre suffisamment grande pour me définir au jour d’aujourd’hui. Je tâtonne encore. J’essaie de soigner la forme pour compenser une dissonance possible du fond.
Propos recueillis par Nathalie Six pour Evene.fr et Lefigaro.fr Belle famille, Gallimard, 238 p., 17,90 euros