C’est mercredi, et c’est donc la journée rêvée pour parler d’école. Ça tombe bien, elle fait partie des sujets d’actualité avec, pour changer, une n-ième réforme proposée par son ministre, Vincent Peillon. Eh oui, ma bonne dame, il faut bien laisser une trace dans l’histoire, avec une loi ou une réforme ! Et puis, tant qu’à faire, mieux vaut parler organisation du calendrier scolaire que de l’absentéisme, sujet bien plus explosif…
Parler de l’absentéisme dans les administrations, c’est oser lever un tabou sulfureux que chaque politicien s’est, jusqu’à présent, démené à ne pas évoquer, même du bout des lèvres. Et parler de l’absentéisme dans l’Éducation Nationale, c’est, pour le coup, déclarer ouvertement la guerre à tout le monde enseignant (mesurable au nombre prévisible de commentaires de ce billet).
Mais voilà, les faits sont têtus… et très étouffés.
Peut-être pourrai-je un jour évoquer l’absentéisme des profs, ce qui serait sans doute assez sulfureux (si on se rappelle de certains rapports de la Cour des Comptes de 2005 qui découvrait près de 100.000 enseignants qui n’enseignaient pas). Je pourrais aussi noter que des chiffres montrent clairement que les effectifs augmentent (et plus vite que la population), ce qui a du mal à coller avec la réalité pourtant elle aussi parfaitement tangible de classes de plus en plus bondées d’élèves tous plus calmes et obéissants les uns que les autres.
Mais cette fois-ci, je vais m’occuper d’une autre catégorie de personnel, dans les écoles et collèges, mais qui ne dépend pas de l’Éducation Nationale.
Là encore, il existe des données, mais finalement, elles sont bien difficiles à collecter, d’autant que les syndicats veillent : pas question de faire pointer, et surtout, pas question de laisser fuiter les petits calculs qui, pourtant, au niveau de chaque échelon de hiérarchie, sont faits pour mesurer, avec autant de précision que possible, si on va avoir assez de personnel aux cantines ou d’agent polyvalent ou de maintenance pour faire tourner les boutiques…
Et parfois, une personne, excédée d’entendre toujours les mêmes jérémiades sur le Manque De Moyens (seuls quelques bons et beaucoup de très mauvais subsistent, je suppose), excédée de constater les dérives mais n’y pouvant rien faire, excédée de constater le décalage croissant entre la réalité des faits objectifs et des données statistiques qui les corroborent impitoyablement et les discours politiques en carton qui s’apitoient sur un personnel décimé (par la méchante droite, le néo-ultralibéralisme, le sarkozysme, les départs à la retraite, j’en passe…), bref, excédée de l’hypocrisie ambiante, cette personne finit par envoyer les données qui circulent dans le département qu’elle connaît.
Ici, il s’agit des données en provenance du Conseil Général de Seine Saint-Denis (le fameux 93), et elles concernent les personnels qui gravitent autour des enseignants eux-mêmes, qui assurent l’intendance de l’enseignement, en quelque sorte. Je remercie la personne en question de m’avoir fourni les tableaux bruts (anonymisés, tout de même) des absences constatées, dont j’ai pu tirer les petits enseignements statistiques suivants.
Comme la personne tient à conserver l’anonymat, vous devrez me croire sur parole pour la source des données (désolé). Mais ceci dit, ces données sont si faciles à retrouver dans les épais rapports départementaux, régionaux et nationaux, du Sénat et de l’Assemblée Nationale, au sein du Ministère, que je doute qu’elles fassent débat en elles-mêmes ; d’autre part, je tiens à le préciser : ce sont les données concernant les personnels des collèges (et précisément, les ATTEE, adjoints techniques territoriaux des établissements d’enseignement) , hors corps enseignant, traité à part (peut-être aurai-je un jour ces données-là aussi, et je vous en ferai part à ce moment).
Ceci posé, les conclusions qu’on peut tirer de ces données promettent d’être un chouilla houleuses.
Tout d’abord, venant d’un département qu’on peut amplement qualifier de sinistré en matière d’éducation, on comprendra que les absences enregistrées sont certainement plus importantes que dans des départements notoirement plus calmes (ceux de la Bretagne ou du Sud-Ouest, par exemple). Mais comme il s’agit de données statistiques sur plusieurs années, les tendances globales ajoutent une idée de ce vers quoi tend la gestion des Collèges en Seine Saint-Denis.
En effet, brutalement, on découvre que le taux moyen d’absentéisme frôle les 20% (19,73% pour être précis). Je vais le redire autrement : ce taux de 20% veut dire, peu ou prou que chaque personne employée dans la gestion des Collèges (cuisiniers, agent de maintenance, d’accueil, polyvalent, etc.) ne travaille que 4 jours sur 5, payé 5. On comprend le bon mot de DSK, en son temps, qui avait expliqué que les 35H dans la fonction publique étaient réalisables à condition de procéder par palier, 31H, puis 32, puis 33… Ce n’était finalement pas si humoristique.
Lorsqu’on découpe les congés en fonction de leur type, on se rend compte que ce personnel est de plus en plus malade, alors que les autres congés (accident, maternité) sont soit stables soit en décroissance…
Pour rire, on peut assez facilement regarder la répartition des congés en fonction des sexes. On obtient le petit graphique suivant :
Évidemment, on comprendra ici que le différentiel est en grande partie expliqué par la plus grande présence de femmes que d’hommes dans l’administration concernée (en l’occurrence, il y a – eh oui – 75% de femmes dans cette administration). La parité, ce n’est pas encore pour maintenant. Mais même en tenant compte de ce biais, on constate tout de même que les femmes posent 13% d’arrêts en plus que les hommes. Le sexe faible l’est semble-t-il vraiment, d’autant plus qu’on est ici dans une administration publique…
Toujours dans les comparaisons, si l’on regarde les données brutes des congés posés en fonction des types de contrats (titulaire de la fonction publique, stagiaire, c’est-à-dire en attente de titularisation, et enfin contractuel), on obtient le graphique suivant :
Là encore, il ne faudrait pas en conclure trop vite que les titulaires posent beaucoup plus de jours que les autres. Pour cela, il faut regarder la proportion de ces titulaires dans les stagiaires et les contractuels. En revanche, la tendance générale, c’est-à-dire l’augmentation galopante des congés divers et variés, elle, est indépendante des rapports de masse entre les différents types de contrat. Le constat est sans appel : si les contractuels et les stagiaires gardent la pression-congé constante, les fonctionnaire, eux, ont clairement décidé de l’augmenter. Sachant que dans les années concernées, l’effectif global est à peu près constant (oui, constant, pas en diminution), on en déduit qu’il s’agit bien d’une augmentation nette du nombre d’absences constatées.
Et si l’on rapporte aux 200 jours moyens que travaillent ces individus dans l’année, on obtient la répartition suivante :
Elle confirme assez douloureusement et l’augmentation d’années en années, et le fait que les titulaires posent tout de même plus de congés que les autres.
Bref.
Pour camper le tableau, l’Administration de la Direction des Collèges, dans le 93, réunit donc, avec toute la souplesse qu’on peut imaginer, 1500 agents qui travaillent, en moyenne, à 80% du temps qu’ils sont payés (le taux global d’absentéisme s’établissant, comme dit précédemment, autour de 20%). Bien sûr, le moutontribuable n’en sait rien, et c’est tant mieux, ça ferait faire des boucles en trop à sa laine soyeuse.
En outre, ce qu’il faut savoir, c’est que cette direction dépense chaque année 38 millions d’euros pour assurer le fonctionnement des 116 collèges dont elle a la charge. On trouve aussi entre 50 et 70 millions d’euros au titre de l’ « investissement ». Dans tous ces montants, on trouve bien sûr l’inévitable distribution gratuite de bisous dont les nombreux agents de la direction doivent assurer la répartition équitable selon des critères issus de « réunion de concertation » et suivis par des « comités de pilotage » (eh oui : les fonctionnaires aiment se réunir, se concerter, se comiter et se piloter comme des compulsifs).
Vous voulez quelques exemples de ce que Bartolone finance avec vos sous ? Eh bien par exemple, il y a l’ »accueil des collégiens temporairement exclus » ou un « conseil général des collégiens » (pour leur apprendre les saines bases du clientélisme, je suppose). On trouve aussi une « aide à l’orientation » sans oublier l’ »éducation au développement durable », comme on peut s’y attendre en ces temps de catastrophisme réchauffiste.Au budget primitif 2012, sont inscrits dans la section « fonctionnement » 1.260.330 euros (soit 35 années de SMIC chargé, pour donner une idée) au titre des Aides à la Réussite Éducative, 3.579.000 pour l’aide à la gratuité (achats de manuels scolaires, bouquins et autres cahiers, et ça fait 100 années SMIC chargé), 111.000€ au titre de l’Aide à l’Orientation, ou encore 246.000 euros pour les relations avec la communauté éducative (parce que sinon, cette communauté éducative pète les plombs et casse tout au Conseil Général, je suppose, vu le montant). En fouillant, on trouvera aussi des fonds alloués pour, je cite, de l’ « écologie urbaine » et de l’ »éducation au développement durable » (avec par exemple l’installation de… ruches dans des collèges). Sachons vivre.
Eh oui : parce que l’école doit être totalement gratuite, intégralement gratuite, gratuite à fond à fond à fond, je dirais même « gratuite à mort », on ne se refusera rien pour les aspects festifs, citoyens, éco-conscients et participatifs, surtout quand c’est de l’argent gratuit des autres.
Bien sûr, à côté de cela, les gros travaux dans les collèges publics du Département (116 collèges + 4 cités mixtes collège-lycée cogérées avec la Région) subissent une baisse cette année de 5 millions d’euros pour atteindre le chiffre pharaonique de 15 millions d’euros, ce qui ne permet même pas de maintenir les équipements à niveau.
Je vous encourage à visiter, à titre documentaire, certains des établissements concernés comme le collège Lenain de Tillemont à Montreuil, le collège Pablo Neruda de Stains ou le collège Rosa Luxembourg à Aubervilliers. Ces établissements sont dans un état de dégradation indigne, ce qui s’explique largement par la déresponsabilisation totale des chefs d’établissements, convaincus que la collectivité paiera de toute façon, ce qu’elle ne peut pas faire par manque de moyens. Eh oui. Quand il faut intégralement refaire des sanitaires dégradés au bout de 6 mois parce que non surveillés pendant les récréations, c’est 10.000 euros à chaque fois. Mais baste, passons : des ruches permettront d’occuper la marmaille pendant la pause méridienne, et c’est ça qui compte.
Un taux d’absentéisme de 20%, des millions d’euros dirigés dans des activités froufroutantes de débilité pendant que l’essentiel n’est pas assuré, une déresponsabilisation des chefs d’établissement, un abandon pur et simple des problèmes au profit d’un replâtrage cosmétique et citoyen, c’est donc ça, l’Éducation Nationale Dans Le 93.
Et c’est vous qui payez. Heureux ?