La campagne électoralee achevée, retour à la réalité économique ; et celle-ci n’est pas jojo. Délits d’Opinion fait le point avec Eric HEYER, Directeur adjoint au Département analyse et prévision de l’OFCE.
Délits d’Opinion : Qu’avez-vous pensé du débat économique durant cette campagne ?
Certains économistes se sont notamment insurgés contre certaines contre-vérités utilisées comme argument électoral (survalorisation du modèle allemand, rôle du coût du travail dans la compétitivité, comparaison entre la France et la Grèce etc.). Partagez-vous cet étonnement ?
Eric HEYER : Globalement, j’ai trouvé que le niveau de la campagne était plutôt bon. Les deux candidats connaissaient les dossiers et étaient relativement bons sur les questions économiques.
Il faut en revanche distinguer les contre-vérités et ce qui relève de l’idéologie, de la doctrine. L’économie n’est pas une science et comme ce n’est pas une science, on peut et on doit considérer que les différents raisonnements peuvent être justes et doivent être écoutés comme tels. Les contre-vérités se produisent plutôt lorsqu’on ne connait pas les chiffres ou lorsqu’on modifie les chiffres.
Durant cette campagne je n’ai pas trouvé qu’on déformait les chiffres. En revanche on avait affaire à des doctrines très claires, certains corpus théoriques différents chez les politiques qui s’affirmaient et s’affrontaient clairement.
En revanche certains pseudo économistes, qui ne sont d’ailleurs pas de vrais économistes, sont intervenus pour expliquer effectivement que la France allait se retrouver dans le même état que la Grèce ou que si François HOLLANDE était élu, on serait immédiatement attaqués par les marchés, dès le 7 mai. Ce fut effectivement écrit dans des tribunes et c’était n’importe quoi. Mais je pense que ça n’a rien à voir avec la campagne, où chacun est dans sa doctrine, défend ses croyances : ça n’est pas plus critiquable en période de campagne qu’à un autre moment.
Ça fait trois ans qu’on nous dit que si on applique des plans de rigueur, ce serait bon pour la croissance car ça redonnerait confiance aux marchés et donc les investisseurs reviendraient et l’investissement repartirait. Ce type de raisonnement, on sait quand on fait des études académiques que ça ne fonctionne pas mais on voit bien qu’au sein de l’opinion publique, en Allemagne, à Bruxelles ou chez certains Français, ce débat existe toujours. Il ne s’agit pas ici de contre-vérités mais simplement de croyances et comme l’économie n’est pas une science, on a le droit d’avoir des opinions différentes. On peut simplement essayer de montrer que ce type de raisonnement ne fonctionne pas en période de basse activité.
Il faut simplement essayer de distinguer ceux qui tentent de le prouver empiriquement et ceux qui l’affirment pour essayer de faire du buzz.
Délits d’Opinion : François HOLLANDE arrive à la tête de l’État français, pouvez-vous nous faire un récapitulatif de la situation et des prévisions en France et pour la zone euro ?
Eric HEYER : Cette question est en fait assez complexe. On peut effectivement faire des prévisions si rien ne change. C’est ce que l’on a fait à l’OFCE au mois de mars, avec cette logique de continuer dans cette stratégie d’austérité généralisée et de respect coûte que coûte des engagements sur les dépenses publiques. On prévoit pour la France 0,2 % de croissance cette année et 0,7% l’année prochaine. Il s’agit donc plutôt de prévisions assez sombres. La zone Euro serait en récession avec certains pays comme l’Italie et l’Espagne qui seraient franchement en récession.
Mais ces prévisions ne tiennent pas compte des évolutions qui pourraient y avoir lieu dans la stratégie européenne. Or on voit bien que les lignes commencent à bouger et que même s’ils ne sont pas encore tous complètement d’accord sur les leviers de croissance, on approche d’un consensus sur les dangers d’un processus d’austérité généralisée. On ne connaît pas encore les éléments de croissance qui pourraient être inclus et tant que les plans ne sont pas arrêtés, il est très difficile de faire des prévisions sur les 18 mois.
Je pense que la politique économique a un rôle à jouer et donc puisqu’on est en train d’en changer, ces modifications peuvent avoir des répercussions assez sensibles sur la croissance. Il n’en reste pas moins qu’on ne peut pas s’attendre, en tout cas pour 2012, à un fort rebond de la croissance en Europe.
En 2013, il serait également très étonnant que cela reparte puisqu’il serait très étonnant que l’Allemagne lâche sur l’ensemble des points qui me paraissent importants. On va donc avoir une récession pour la zone Euro en 2012 et une légère croissance en 2013. De mon point de vue, la croissance ne sera pas suffisante en 2012 et 2013 pour créer des emplois et donc le chômage va continuer à augmenter.
Nous allons assister à une explosion de la pauvreté, pour une raison simple. Dans les premiers temps de la crise, la pauvreté a beaucoup moins augmenté en France qu’ailleurs, y compris en Allemagne. L’Allemagne a vu son taux de chômage baisser pendant la crise alors qu’en France il a augmenté comme partout en Europe, peut-être légèrement moins. En revanche le taux de pauvreté a largement plus augmenté qu’en France.
On peut ainsi juger les résultats de la politique économique à l’aune du taux de chômage, on peut aussi les juger à l’aune du taux de pauvreté. Si on prend ce critère-là, la France s’en sort mieux que n’importe quel pays européen. Elle s’en sort mieux parce qu’elle a un modèle de protection sociale plus efficace qu’ailleurs. En France, quand vous perdez votre emploi vous ne tombez pas nécessairement dans la pauvreté alors qu’ailleurs c’est l’accès à l’emploi qui ne vous préserve pas nécessairement de la pauvreté. Le nombre de travailleurs pauvres en Allemagne a par exemple beaucoup augmenté.
Le souci c’est que ce modèle social n’est pas fait pour durer longtemps, il n’est pas fait pour tenir sous périodes de crises longues. En outre il est en train d’être remis en cause avec les politiques actuelles d’austérité. Le nombre de chômeurs de longue durée est en train d’exploser et dès qu’on dépasse deux ans de chômage, on tombe dans les minima sociaux : on peut donc tomber dans la pauvreté.
Les perspectives sont donc mauvaises avec une continuité dans l’augmentation du taux de chômage et une accélération du niveau de pauvreté des personnes déjà au chômage.
Cette crise pourrait être terrible si on ne changeait pas de politique en Europe et adoucie si on amendait cette stratégie.
Jusqu’où va-t-on l’amender ? C’est ça la question. S’agit-il de mettre 2-3 mesures de croissance, essentiellement structurelles, qui auront donc très peu d’impact à court terme ? Dans ce cas la situation s’aggraverait très fortement à court terme. Où va-t-on enfin mettre des mesures de politique coordonnée en Europe permettant une efficacité de long terme mais également de court terme ? Va-t-on faire intervenir la BCE ? Créer des eurobonds ? Ces questions seront mises à l’ordre du jour. Plus les mesures seront consensuelles et adoptées rapidement, plus on pourra se diriger vers une sortie de crise.
Délits d’Opinion : L’exclusion de la Grèce de la zone euro est désormais une hypothèse présentée comme envisageable. Partagez-vous cette analyse ?
Eric HEYER : Lorsqu’on écoute les responsables français et allemands, ils nous assurent qu’il n’y aura pas de sortie de la Grèce de la zone euro. Doit-on les croire ? Ils nous avaient aussi juré qu’il n’y aurait pas faillite d’un état européen. Or il y a eu le défaut partiel de la Grèce. On peut vouloir les croire mais avec réserve. Il n’y a aucun intérêt pour la zone euro, ni pour l’Allemagne, ni pour la Grèce que celle-ci sorte de la zone euro. Je pense au final que ces intérêts là font que la Grèce ne sortira pas.
En même temps puisque les décisions ne sont pas prises pour que la Grèce ne sorte pas de la zone euro, la probabilité qu’il y ait une grosse faillite ou des révoltes sociales majeurs en Grèce est assez élevée.
On aimerait que le discours des autorités françaises et allemandes ne se limitent pas à « on vous assure il n’y aura pas de sortie ». Il faudrait enfin expliquer comment la Grèce peut et va s’en sortir et comment la zone euro va s’assurer qu’il n’y ait pas de sortie. La question centrale se situe sur ces points.
Je ne crois pas du tout qu’il soit inéluctable que la Grèce sorte de la zone euro, en revanche je trouve léger et certainement trop peu convainquant le simple discours rassurant actuel. Il doit y avoir des preuves de la prise en compte de la gravité de la situation et que soient prises des mesures, non pas au fil de l’eau mais que soit bien anticipé l’ensemble des problèmes avec probablement un nouveau plan sur 5 ans – 10 ans et pas un nouveau plan tous les 6 mois.
Délits d’Opinion : Avant le début de la campagne officielle, alors que le PS semblait tendre vers une politique d’austérité stricto sensu, vous rappeliez, notamment dans plusieurs articles sur DO, l’absurdité de ce raisonnement et la nécessité de prendre en compte des moteurs de croissance. Depuis, François HOLLANDE a repositionné son discours en mettant en avant la prise en compte de cette croissance, rejoint en partie par Mario DRAGHI et plus récemment par Barack OBAMA. Je présume que cette forte inclinaison doit en partie vous rassurer.
Face aux difficultés rencontrées par les pays mettant en œuvre une pure et simple cure d’austérité (Angleterre, Espagne, Grèce), l’opinion publique et l’opinion des dirigeants politiques a-t-elle selon vous évolué ?
Eric HEYER : Oui, on voit bien qu’il y a des doctrines qui s’affrontent. Celle qui était dominante à l’époque nous disait que l’austérité ne nuit pas à la croissance. Au contraire, certains affirmaient que l’austérité amènerait de la croissance.
Cette doctrine est en train d’être mise en défaut par la réalité. Ce raisonnement peut fonctionner si vous êtes les seuls à mettre en place cette austérité. Par exemple si la Grèce avait été la seule à installer cette rigueur, la platitude de la demande interne aurait pu être compensée par une demande externe venant des partenaires européens. Cela aurait pu permettre une sortie de crise assez rapide avec réduction des déficits. Or on voit bien que puisque cette stratégie d’austérité a été synchronisée et mise en œuvre de concert dans tous les pays européens, en basse conjoncture, c’est une catastrophe, ça ne marche pas. Dans ce cas de figure, le multiplicateur est extrêmement élevé : l’impact de ces plans d’austérité sur les taux de croissance est radical.
Là on voit que l’état d’esprit est en train de changer : maintenant, c’est assez incroyable de lire dans des revues académiques anglo-saxonnes de très haut niveau, des personnalités libérales démontrer que ce type de politique ne peut pas fonctionner. Le dernier en date vient de Lawrence SUMMER dans le NBER (National Bureau of Economic Research). Auparavant un article très intéressant dans l’American Economic Review de 17 économistes de Banque Centrale qui ont fait tourner leur modèle en montrant que cette logique ne marchait pas. Donc même des banquiers centraux aboutissent à la conclusion que les multiplicateurs sont très élevés. Aujourd’hui, il n’y a plus un économiste sérieux qui publie des articles dans des revues académiques qui tient le discours de l’austérité. Les seuls que vous trouvez sont des pseudo-économistes.
Du coup les dirigeants, à la fois en écoutant ces experts et en constatant les effets de ces politiques, se rallient à ce nouveau discours. C’est un petit peu ce qu’est en train de cristalliser François HOLLANDE, parce qu’il a fait sien ce discours et que nouvellement élu, il a une bonne dynamique, mais même Mario DRAGHI est en train de revenir dessus. Il y a donc un petit espoir qui n’existait pas il y a encore 6 mois. C’est positif mais on a attendu tellement longtemps avant que ça arrive, que les dégâts risquent d’être très élevés et d’être pour partie irréversibles. Le chômage structurel a dû sensiblement augmenter puisque quand vous passez 3 ou 4 ans au chômage, il est très difficile de retrouver un emploi.
Propos recueillis par Olivier