J'avais été frappé, comme beaucoup de lecteurs, par son premier livre,Passagère du silence, qui a fait connaître l'exigence artistique impérieuse de cette femme à la volonté de fer. Elle y racontait son apprentissage de la calligraphie en Chine, dans des circonstances d'une grande dureté. Partie à 22 ans pour le Sichuan, elle se retrouve isolée, dans un univers hostile, marqué par l'empreinte de la Révolution culturelle qui a poussé les artistes traditionnels à se terrer. Le récit de la manière dont elle parvient, à force de détermination et d'humilité, à convaincre un maître, qui vit dans la clandestinité, à lui enseigner son art, prend au cœur. Elle est femme, elle est étrangère, il refuse d'emblée. Mais un jour, il lui ouvre sa porte : « Je veux bien aller plus loin avec toi, mais je te préviens, cela durera dix ans. Donc c'est soit dix ans, soit rien. »
Elle s'y pliera, découvrira, bien au-delà de la technique, une discipline méditative et spirituelle. Aujourd'hui installée en Suisse, elle suit son propre chemin, jusqu'à inventer une œuvre d'une rare puissance : sérénité et haute tension. De la calligraphie elle a gardé le jaillissement, la spontanéité, qui ne survient que du plus profond de l'être inspiré par la nature. Ainsi fait-elle surgir un univers dans une touche de pinceau.
« Ce que je peins coule de moi comme un reflet de la réalité », dit-elle. L'art de Fabienne Verdier, c'est le génie du trait, selon le mot de Charles Juliet. Le trait d'encre ou de peinture, ici : métaphore de la condition humaine, du lien entre la terre et le ciel (l'homme du Tao), sensualité de la matière, fil de nos vies et du destin. Les oeuvres de Fabienne Verdier, hélas inaccessibles au commun des mortels, reflètent cette essence, l'heureuse alliance de l'extrême discipline et d'une absolue liberté. « Comment dire cet inexprimable que la peinture me fait vivre ? »