LA FENÊTRE, d'après Maupassant

Publié le 30 mai 2012 par Dubruel


Quand on se marie,

Il ne faut pas trop aimer sa femme

Sinon on peut faire des bêtises, dam !

On se trouble. On devient niais

…ou brutal. Il faut se dominer.

L’hiver dernier à Paris,

J’avais rencontré Mme de Jardy.

Plus je la connaissais,

Plus elle me plaisait.

Elle était veuve.

C’est par paresse que j’aime les veuves !

Je cherchais alors à me marier.

-« Vous m’accepteriez

Si je vous proposais d’être votre mari ? »

-« Comme vous y allez, mon ami !

Mais on peut essayer.

Je veux vous étudier

Pendant deux mois.

Venez cet été habiter chez moi.

Et là, nous verrons

Si nous nous accordons. »

Nous vécûmes donc aux Oeillets

En juin et juillet.

Dans son manoir, elle s’efforça de percer

Mes plus intimes pensées,

D’observer mes moindres mouvements.

Elle me surveillait à tous moments.

Même la nuit, j’étais espionné.

Quelqu’un dormait

Dans la chambre d’à côté.

Tout cela m’a impatienté.

J’ai voulu hâter le dénouement.

Un soir, je devins entreprenant.

Je mis cent francs dans la main

De la soubrette Jeanne Besse.

-« je ne te demande rien de vilain

Mais je désire faire à ta maitresse

Ce qu’elle fait envers moi. »

Elle a ri d’un air sournois.

-« Tu couches dans la chambre qui est à côté

De la mienne pour, ne le nie pas, écouter

Si je ronfle, si je rêve tout haut…

Ta maitresse veut, motu proprio,

Savoir tout, sur mon caractère,

Mes habitudes et mes manières.

Je voudrais que tu m’indiques

Certains …certains détails…physiques

De celle qui va devenir ma femme

Et que j’aime de toute mon âme.

Depuis longtemps, tu es sa chambrière.

Tous les jours tu l’habilles,

Tous les soirs, tu la déshabilles.

Est-elle aussi grasse qu’elle en a l’air ?

Dis-moi si elle met du coton…

Là…où on s’assoit, ou devant,…

Là où on nourrit les petits enfants ?

Dis, met-elle du coton ?

Beaucoup de femmes ont les genoux rentrés

Qui s’entre-frottent à chaque pas qu’elles font

Ou bien elles ont les genoux écartés

De telle sorte que leurs jambes

Forment une arche de pont.

Comment sont ses jambes ?

Certaines femmes sont fortes par devant

Et pas du tout par derrière.

D’autres sont fortes par derrière

Et pas du tout par devant. »

-« Vous n’allez pas me croire :

Madame est faite comme moi

…À part qu’elle est noire ! »

Me trouvant ridicule, cette fois

Je résolus de me venger

De cette bonne qui m’avait joué.

La nuit suivante, je m’introduisis

Dans la chambre de la soubrette.

Elle était très bien faite.

Nous fûmes bientôt très…amis.

Elle devint une maitresse rouée à plaisir.

Ses douceurs me permirent…

D’attendre que Mme de Jardy ait cessé

De m’éprouver.

Curieusement, elle commençait

À me trouver

Délicieux.

J’étais un homme heureux.

J’attendais le baiser légal

D’une femme que j’aimais d’un amour total

…Dans les bras d’une fille

Pour qui j’avais une amitié vile !

Avant le déjeuner,

J’avais pris l’habitude d’aller fumer

Sur une tourelle du manoir

Qui surplombait la Loire.

L’escalier n’était éclairé

Que par une seule fenêtre cintrée.

Ce jour-là Jeanne était penchée sur le rebord,

Et vêtue très …légèrement.

Elle regardait rêveusement au dehors.

Elle était charmante ainsi.

Je m’approchai doucement,

Me mis à genoux, pris avec précaution

Les deux bords de son fin jupon,

Le relevai avec frénésie

Et jetai là un tendre baiser,

Le baiser d’un amant qui peut tout oser.

Cela sentait la verveine.

J’en fus d’autant plus surpris

Que je recevais un coup sur le nez.

J’entendis aussi un grand cri.

C’était un jour de déveine :

La personne s’est retournée.

C’était Mme de Jardy !

Elle haleta un moment

Puis s’enfuit.

Au bout d’un court instant,

Jeanne m’apportait un pli

Que je lus aussitôt :

Mme de Jardy espère que M. d’Artaud

La débarrassera de sa présence.

Je partis en effet… par bienséance.

Mais j’étais vraiment peiné.

J’ai tenté de me faire pardonner.

Sans succès. Cette verveine-là

Me donne encore aujourd’hui le désir

De pouvoir sentir

Ce bouquet délicat !