Passons sur les regrets éternels de ne plus découvrir de film d'Anthony Minghella. Passons sur cela, ou plutôt couchons-le rapidement sur la page pour parler de ce langage qui était celui de Minghella et qui malheureusement ne sera plus parlé.
Minghella était un paysagiste passionné et un vrai cinéaste. Ils y en a peu des cinéastes paysagistes, il y a Antonioni, David Lean, Terrence Malick.
Minghella était un cinéaste moderne qui faisait des films au passé simple et à l'imparfait. Breaking and Entering annonçait quelque chose de nouveau, on ne saura pas quoi. Cette façon moderne d'être au passé faisait de lui un vrai romantique, pas un de ceux qui s'en vont l'écharpe au cou au vent mauvais, un de ceux qui réflechit au passé et qui sait le questionner.
Dans English Patient, le paysage était corps, le désert féminin, l'Italie passionnelle. Le paysage était la femme aimée, devenue monde entre les mains du cinéaste, le détroit de Bosphore devenait une partie de l'anatomie adorée, que la politique se dispute, mais que la passion exige.
Dans Mr Ripley, le paysage était social. Hommes du monde, des demis-mondes, de tous les mondes. Jardins sur toits aux bords de Central Park, paysage social complexe, jungle de sentiments et de mensonges dans laquelle on se meut avec peine, tel un Chactas cherchant à nourrir son Atala.
Dans Cold Mountain, le paysage était moral et national. Minghella y rejoint les luministes et la Hudson River School pour faire parler leurs cadres, y faire vivre ses histoires et son Amérique en crise et en construction.
Dans Breaking and Entering, le paysage était devenu actuel. Partie de la ville animée sur ordinateur. Prévu et enfermé; ce n'était plus la ville qui appartenait à la nature mais la nature qui appartenait à la ville dans les projets de son architecte. Mais les lumières sont vertes, la nature résiste et s'impose dans le quotidien urbain des personnages qui n'y pensent même pas. Seul Will Francis, qui fut le premier personnage de Minghella à penser à la nature et au paysage consciemment, y réflechit.
Gabriel Yared, aussi, le compositeur fétiche de Minghella, son alter-ego musical, y pensait au paysage. Je me suis interrompu dans ma série sur la grammaire du paysage musical pour cause de décès choquant et injuste - ne me demandez pas si un décès peut-être injuste ou non, celui-là l'est, mais je reviendrons plus tard à Yared.
Il est celui qui a su faire passer le paysage de Minghella à un niveau semi-conscient, une rêverie perceptible, un Syndrome de Stendhal. Une petite faveur à demander au lecteur habituellement pressé: écouter ce morceau tiré de Cold Mountain, et relire ce petit texte, ou simplement penser à Minghella, et prendre le temps de revoir ses films. Il n'y en aura pas d'autre.