A Villanova (Pennsylvanie) où elle fait campagne pour son mari, Michelle Obama déroule le fil de son propos comme on raconte une histoire : celle de son itinéraire avec Barack. Celle de tous les Américains ordinaires.
Car cette "barre", dont on ne cesse de repousser les limites lorsqu'il s'agit d'évaluer la capacité du jeune sénateur de l'Illinois à faire un président convenable, c'est le symbole même de la destruction progressive du rêve américain pour les gens modestes. Pour eux aussi, la barre n'a cessé de bouger : ce qu'il faut gagner pour accéder à une vie décente, un tant soit peu protégée des aléas de l'existence et ouvrant aux enfants les clés d'un avenir plus prospère ? Ce n'est jamais assez. La barre ne cesse de bouger et l'espoir de glisser. Le rêve américain, dans ces conditions ? - Il n'a jamais ressemblé d'aussi près à un mirage.
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Et la femme de Barack Obama de revenir sur sa propre histoire, "l'anti-miracle" par excellence. Dans cette famille ouvrière de Chicago, il a fallu batailler ferme et travailler dur pour que la jeune Michelle gravisse peu à peu les échelons depuis l'école publique du quartier jusqu'à la consécration de Princeton. Il a fallu non seulement les chèques modestes et fiers de son père, mais aussi les emprunts bancaires conséquents (qui n'ont été remboursés que récemment avec la publication de la biographie de Barack). Cette histoire-type pourtant, dont se nourrit la détermination et l'espoir des parents pour leurs enfants, elle se tarit aujourd'hui sous les yeux de foyers américains groggy. Non seulement la fameuse "barre" n'en finit pas de s'éloigner, mais encore le sol se dérobe sous les pieds de l'Amérique modeste et de ses travailleurs pauvres. Si bien qu'au lieu d'être portés par ce qu'ils peuvent faire pour les leurs, les gens se retrouvent, comme aux heures noires du pays, obnubilés par ce qu'ils ont perdu.
Comment, dans ce contexte, surmonter les divisions qui opposent les communautés, les gens, les ethnies, les Etats, les générations quand même les plus anciens doivent encore travailler dur eux aussi pour continuer à honorer leurs traites sur la vie, alors qu'ils sont si utiles à l'éducation de leurs petits-enfants ? (Michelle Obama adresse alors un clin d'oeil à ses filles, sûr qu'entourées de leurs grands-parents, elles ont certainement droit à des sucreries interdites à une heure tardive, mais plus assurée encore du rôle essentiel de cette bienveillance familiale pour l'éducation de ses enfants) Comment retrouver du temps pour les autres ? Comment combler ce "déficit d'empathie", retrouver cette "mutuelle obligation des uns envers les autres" à l'origine de tout contrat social digne de ce nom ? Vraiment, il faudrait que Barack Obama, porteur de ce message et de ce changement, attende ? Mais le leadership le plus fort n'est-il pas celui qui, patiemment, modestement, s'est forgé dans l'ombre, l'expérience du terrain auprès des communautés démunies de Chicago plutôt que dans les couloirs feutrés des grands cabinets de Wall-Street où Barack aurait pu devenir millionnaire ?
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Et dans l'apprentissage des différences inculqué par une mère du Kansas si ouverte sur le monde. Songez à l'enfance si incroyablement multiculturelle de Barack, entre le Kansas, l'Indonésie, Hawaï, le Kenya et imaginez, lance Michelle à l'assemblée, un président des Etats-Unis respectant les différences... Quelle différence ce serait en effet avec cette idéologie de la peur omniprésente ces dernières années, avec ces discours durs qui donnent à eux seuls l'impression de rassurer et de protéger. Naïf, Barack Obama ? lui qui a su émerger de l'Illinois - un repaire d'enfants de choeur, sans aucun doute - face à la puissance d'autres dynasties politiques. Le brillant spécialiste de droit constitutionnel qu'il a été a appris à la fois la mécanique à Harvard et le terrain à Chicago. Il est prêt, déterminé - et sait que l'on peut avoir des désaccords tout en respectant ses adversaires ou, mieux, en bâtissant des compromis honrables avec eux.
Oui, pourquoi attendre ? Parce qu'une fois de plus, il serait trop noir, disent les uns, ou pas assez selon les autres ? Trop radical pour certains, ou trop ouvert au compromis pour les autres ? Barack Obama crée certes une vraie dynamique de changement contre les pouvoirs installés, mais cette dynamique, rappelle son épouse ce soir-là à Villanova, est aussi un appel à la responsabilité de chacun, un appel à retrouver l'énergie du combat et le goût de se dépasser dans une Amérique affaiblie, appauvrie, qui s'est mise à douter, quand ce n'est pas à désespérer.
Le style est simple, sans effet inutile, presque réticent aux marques d'assentiment et d'enthousiasme tant il est pénétré de la force propre de son propos, et porté par l'aisance incontestable que donne le barreau. Michelle Obama n'utilise aucune note dans ce qui apparaît vite comme une causerie davantage que comme un discours - et, plus encore, comme une musique, avec le sens black du rythme aussi bien que de l'humour, qui permet de passer de l'autodérision la plus légère à la conviction la mieux forgée. Il y a de la générosité là-dedans. Le message de Michelle est clair : Barack est prêt.
Du coup, à mesure qu'on l'écoute, ce qui apparaît au moins aussi clairement, c'est que, bien plus qu'une first lady, cette femme impressionnante ferait elle-même une vice-présidente de choix.