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Est-il encore nécessaire, arrivé en notre époque, de présenter le Frankenstein, un roman aux sonorités abrasives, un personnage à l’ombre hégémonique telle qu’elle parvint à abroger même la dualité de ce nom, fondant le monstre et le héros en un seul et même être, modelant de par les ombres du géniteur et de la géniture un histrion étrange qui se retrouve de fait cyniquement dépossédé de toute sa substance originelle.On ne peut plus censément dénombrer les adaptations cinématographiques, ridicules accessits envers la créatrice Mary Shelley (mille sept cent quatre-vingt-dix-sept - mille huit cent cinquante et un) qui au fil du temps défigurèrent avec une rare forme d’acrimonie le roman original : Frankenstein, ou le Prométhée moderne, paru l’année de mille huit cent dix-huit, dont l’imagination des masses dénua de toute sa portée, biffa les sujets sous-jacents pour ne plus que souligner sa dimension fantastique. Cet ouvrage peut sans nulle vacillation être considéré comme une forme de genèse du genre de la science-fiction, antérieure aux plus tardifs maîtres incontestés du genre que deviendront Herbert George Wells (La Machine à Explorer le Temps, La Guerre des Mondes, mille huit cent soixante-six - mille neuf cent quarante-six) ou encore notre Jules Verne national (Voyage au Centre de la Terre, De la Terreà la Lune, mille huit cent vingt-huit – mille neuf cent cinq), Shelley briguait déjà d’offrir avec la primauté littéraire qu’on doit de lui restituer une raison scientifique au domaine étrange et austère de qu’est le surnaturel ; un domaine teinté d’une noirceur comminatoire puisqu’appartenant au cercle abscons de l’inexplicable, alors très prisé par les esprits romantiques anglo-saxons, férus de mystères et de légendes aussi caustiques que dispensatrices de frissons glacials. Je cite le romantisme, car Frankenstein relève pourtant d’un absolu et d’une sensibilité exacerbée toute romantique, malgré l’obscur propos incarné par son personnage principal.
Fille de la célèbre philosophe habitée d’idéaux féministes Mary Wollstonecraft (mille sept cent cinquante-neuf - mille sept cent quatre-vingt-dix-sept) et de l’écrivain et théoricien politique William Godwin (mille sept cent cinquante-six - mille huit cent trente-six) dont la condescendance pour le pouvoir alors en place en Angleterre le poussait à écrire d’une plume contestatrice et virulente, Mary Shelley semblait dotée d’une extrace qui ne pouvait la pousser en aucun autre domaine que les Lettres. Aussi fut-elle auteure de nombreuses biographies, nouvelles, pièces de théâtre, romans et récits de voyages, genre de l’errance même qui demeurait fortement à la mode depuis les découvreurs et pères de ce style alors mandés par la reine Elizabeth I d’étendre son empire (l’on peut par exemple penser à Sir Walter Raleigh). Âpre, acéré, corrosif et dissemblable de toute production littéraire ou intellectuelle de son temps, Frankenstein ou le Prométhée moderne naquit tout autant dans l’hérédité du romantisme voulu par l’époque, mais vit le jour en des circonstances coudoyant de près l’ambiance générale que l’on retrouve au fil de ses pages, placé alors sous la férule d’une atmosphère orageuse, que ce soit au sens propre ou au figuré. La légende ainsi nous rapporte, légère et labile comme le souffle du vent, que le soir du quatorze juin mille huit cent seize, la toute jeune femme d’à peine dix-neuf ans se délectait d’un séjour sur les calmes rives du lac Léman aux côtés du fameux Lord Byron au rayonnement déjà profondément établi en Angleterre, du médecin John William Polidori, et de son mari Shelley. La nuit se fait alors menaçante, pluvieuse, propre à mieux disséminer le trouble en les cœurs. De manière à stimuler l’ambiance étrange de cette soirée, les protagonistes de notre scène se jouent à conter des récits de fantômes, puis se lancent le défi de rédiger un court récit fantastique, dont les effluves seraient à même de compléter le tableau d’une délicieuse nuit d’angoisse. La jeune Mary s’avèrera l’unique convive à achever son œuvre, et celle-ci de paraître un peu plus de deux ans plus tard. Ainsi s’achève le cadre bruissant de circonspection et l’imaginaire. Qu’en est-il seulement de l’hoir de cette soirée si particulière et propice à l’inspiration qui permit aux lettres anglaises de se doter de leur toute première histoire de science-fiction ?
L’œuvre propose aux lecteurs de suivre le personnage du jeune scientifique nationalité suisse Victor Frankenstein, dont les recherches et expériences assidues lui offrirent le fallacieux espoir d’entendre le principe même de la vie, se dotant du pouvoir démiurgique de doter l’inerte matière de la capacité à s’animer et se mouvoir par elle-même. Divaguant, mû par cette découverte sans précédents, le jeune savant se met en quête de cadavres ramassés au hasard de charniers à ciel ouvert et de tables de dissections au cœur d’obscures facultés de médecine. Pantin grossier recousu de manière plus ou moins hasardeuse, Frankenstein recompose ainsi un semblant d’être humain, tel que lui dicte sa déraison. L’expérience démentielle porte ses fruits, et le savant se voyant déjà déifié, prend soudainement horreur face à sa difforme et épouvantable créature se levant de la table d’expérience, et ainsi s’enfuit, abandonnant sa chose, son enfant, rejeté car conglobant en elle-même un pouvoir par trop insupportable, et insurmontable. Par la suite, débute l’expiation du jeune Victor comme réponse de son crime d’avoir voulu jouer à Dieu, la créature poursuivant sans relâche son créateur qui cherche à la renier de tout son être. L’immonde bête, n’entendant au départ nullement l’apathie de son « père » et s’astreignant de prime abord à se faire accepter de lui, sombre progressivement en une frénésie de violence, qui la pousse à assassiner les proches du fugitif scientifique, augmentant les griefs de la créature à mesure qu’il la repousse épidermiquement, sa vue et cette métaphore d’un savoir interdit le révulsant de tout son être. Comble de l’horreur, point épiphanique de la violence révoltante mais pourtant compréhensible dont fait preuve la bête, elle finit par tuer la femme de Victor, Elizabeth, le soir même de leurs noces, mettant de fait un point final à toute prétention, toute aspiration au bonheur du simple mortel qui cru pouvoir défier Thanatos et se doter d’un pouvoir qui ne devait en aucun cas lui échoir. Harassé, exténué par trop de douleur, Victor cède, accepte ce châtiment qui s’abattit justement sus sa personne, et Frankenstein meurt d’épuisement, concluant le roman et la traque de la terrible engeance qui, par la même occasion, perd tout but de continuer à exister.
Cette modernisation du mythe grec antique de Prométhée enchaîné et mutilé chaque jour par un aigle pour a voir voulu apporter le feu aux humains est rédigée sous la forme épistolaire, tout comme ces œuvres fondatrices, mères de la mouvance romantique que sont Julie, ou la Nouvelle Héloïse(Jean-Jacques Rousseau) et Les Souffrances de Jeune Werther (Johann Wolfgang Von Goethe). Le romantisme en effet s’y retrouve de par ses ramifications tendant vers la fascination pour la mythologie grecque et romaine, redécouvertes lors de la Renaissance survenue en Europe au XVIème siècle, mais également de par la place que le récit concède à la glorification de la nature et de sa puissance mirifique et créatrice, contrecarrant les doutes et les bourbes, les brimades de la mortalité propre à la condition déplorablement humaine, et Victor Frankenstein se perd un nombre innombrable de fois dans la contemplation des montagnes des Alpes qui semblent lui évoquer le poids sur ses épaules représenté par la créature qui le traque inlassablement. On se surprend ainsi à éprouver une forme de commisération, une compassion teintée d’une profonde pitié pour celui qui toucha du doigt les pouvoirs divins d’insuffler la vie, on ressent jusqu’en nos cœurs les terribles anathèmes qu’il profère contre sa création qui le poursuit de sa haine viscérale, une soif de vengeance comme seuls les fils rejetés et méprisés par la figure patriarcale depuis le berceau peuvent en ressentir. Accordant une place prépondérante aux expressions du « moi » et du « j », Mary Shelley entrelace ainsi les diatribes et autres doléances acerbes des deux protagonistes principaux, ne dulcifiant nullement leurs souffrances, de sorte à ce que les douleurs semblables et réciproques les élèvent jusqu’à une lutte qui ne pourra se solder que par la mort de l’un des deux êtres misérables dans leurs conditions de créatures aussi malléables l’un que l’autre ; les tourments du cœur et de l’âme sont exaltés, transcendés comme jamais alors. Tout deux sont les êtres les plus malheureux de la Terre, Victor pour avoir profané le sacro-saint secret du dont de vie, le monstre pour se voir rejeté par son père et le reste de l’humanité à qui il inspire une horreur inégalée. Tout deux ne peuvent plus de fait atteindre le bonheur, et leur convoitise de l’amour, ils se la ruinent mutuellement, car ils sont porteurs de leur déperdition mutuelle. L’on ne sait ce qui advient de la créature après la mort de son démiurge, toujours est-il qu’elle s’enfonce avec lenteur dans la bise brumeuse et sifflante du Pôle Nord, rongée par la solitude et la culpabilité, détruite par le remord d’avoir provoqué la perte de sa seule et unique extrace.