Voici le troisième volet de notre série (1 et 2) : Il est ici question de la défense antimissile, mais aussi de la revue de la posture de dissuasion et de défense.
Comme prévu, les alliés ont déclaré que la défense antimissile balistique avait atteint sa « capacité opérationnelle intérimaire ». Cela correspond, fort logiquement, à « l’approche adaptative phasée » qu’avait annoncée Barack Obama lors de sa prise de fonction, pour sortir (déjà) de la crise américano russe sur le bouclier anti-missile. Il s’agit donc d’une première « phase ». On s’aperçoit qu’elle couvre une petite partie du territoire de l’Alliance (concrètement, la partie sud-est de l’Europe) à partir d’un grand radar installé en Turquie, et de missiles SM3 qui seraient tirés de navires américains patrouillant en Méditerranée. Un centre de contrôle et de commandement (la vraie couche « Otan ») serait installé à Ramstein.
Il reste que l’affaire suscite plusieurs questions. En effet, à Lisbonne, la DAMB avait été promue au moyen d’un récit qui affirmait trois qualités : 1/ qu’elle ne coûterait pas cher (environ 200 millions à payer à 28 sur dix ans…) 2/ qu’elle associerait les industriels européens 3/ qu’elle serait établie en coopération avec la Russie.
Or, ces trois arguments paraissent bien peu solides, deux ans après. En effet, la question du coût apparaît crûment : cela coûtera beaucoup plus cher que 200 M€ (en fait, il faut parler en milliards) alors que les budgets sont partout en baisse. Surtout, l’association d’industriels européens laisse à désirer. Enfin, chacun a vu que les Russes persistaient dans leur hostilité au projet, ce qu’ils avaient signifié par l’absence au sommet de Vladimir Poutine.
En fait, l’otanisation du bouclier avait été le moyen de surmonter la première crise sur le bouclier antimissile qui était intervenue en 2007. Pourtant, les Européens ont finalement l’air de regretter la ligne Bush d’alors, qui était simplement bilatérale : le bouclier était une affaire américaine pour satisfaire à des objectifs américains, utilisant des moyens américains (industriels et financiers) sur la base d’accords bilatéraux entre Washington et tel ou tel pays. Et l’Otan qui était apparue comme une solution ne l’est finalement pas autant qu’on le croyait.
Sur la question de la DAMB, remarquons enfin les critères énoncés par le nouveau président de la République française sur la question de cette DAMB : en effet, la France doit définir sa position stratégique sur la question, et elle tergiversait entre les partisans d’un investissement (y compris par le développement d’une filière nationale) qui ne veulent pas se laisser distancer dans la sorte de course technologique à l’espace qu’est la DAMB, et les tenants d’une grande prudence qui se méfient de l’effet d’éviction et se rappellent l’échec soviétique lorsque Ronald Reagan avait lancé, en son temps, l’initiative de défense stratégique.
Le président a énoncé quatre critères : Le premier selon lequel la défense antimissile « ne peut pas se substituer à la dissuasion nucléaire mais doit en être le complément ». Il faut ensuite que « nos industriels soient directement intéressés à la réalisation des équipements nécessaires », qu’il y ait un « contrôle politique de son utilisation » tout en veillant à ce qu’il y ait « une maîtrise des coûts pour qu'il n'y ait pas de dérive financière qui serait d’ailleurs insupportable pour les budgets des pays de l’Alliance ». La question du « contrôle politique » paraît centrale, car elle suggère une voie autonome minimale. Il reste à trancher de l’étendue de cette voie autonome. Ainsi, une petite évolution, qui devra être confirmée dans les mois à venir par de vraies décisions plus explicites.
Signalons enfin que le sommet fut l’occasion de rendre publique la « revue de la posture de dissuasion et de défense ». Il faut y noter la perception anglo-saxonne de la dissuasion, qui est globale quand, pour la plupart des esprits français, elle est nucléaire. Ainsi, la déclaration évoque les contributions des forces nucléaires, des forces conventionnelles et de la défense anti-missile, chacune contribuant à sa place à la posture de l’Alliance. Cela vient confirmer une vision traditionnelle et qui avait d’ailleurs été marquée par le concept stratégique de 2010, le point clef étant la complémentarité, déjà évoquée, de la dissuasion nucléaire et de la DAMB. Ainsi, ce document ne bouleverse pas les options stratégiques précédentes.
NB : as usual, ce texte n'engage que son auteur ("animateur d'égéa") et aucune des institutions pour lesquelles il travaille par ailleurs.
O. Kempf