Quand le chaos s’installe dans les rues et que des heurts s’annoncent, c’est paradoxalement dans une salle à l’ambiance feutrée et tempérée que sont dirigées les opérations policières censées ramener un peu de calme dans la métropole.
Bienvenue au Centre de commandement et de traitement de l’information du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Le CCTI, dans le jargon des policiers montréalais.
C’est ici qu’on surveille tout ce qui se passe, qu’on prend les décisions pour encadrer les manifestations ou, si besoin est, pour contrer les casseurs.
Peu avant le départ de la manif monstre de la semaine dernière, le Journal a eu droit à une incursion privilégiée dans ce lieu stratégique du SPVM, qui est maintenant en activité depuis plus de 100 jours consécutifs dans le cadre du conflit étudiant.
C’est presque deux fois plus que dans toute une année, le CCTI ne servant habituellement que lors d’incidents ou d’événements d’envergure. Inauguré il y a une dizaine d’années, le centre n’a jamais été tant utilisé.
Ce qui frappe d’emblée quand on pénètre dans cette pièce parsemée d’équipements de haute technologie et à l’accès strictement contrôlé, c’est son immensité.
La pièce s’étire sur deux étages au sommet du quartier général du SPVM, rue Saint-Urbain. Elle a la taille d’un petit amphithéâtre.
Elle y ressemble d’ailleurs avec son parquet décliné en paliers successifs, qui abritent des dizaines de postes de travail disposés en rangées devant tout un pan de mur d’écrans géants.
Au frais
On s’attendrait à y trouver un bourdonnement incessant, mais c’est plutôt une certaine solennité qui transpire du lieu. La lumière est tamisée et on y parle à voix basse. « Comme dans une bibliothèque », glisse un policier.
La température y est aussi gardée très fraîche. « C’est pour garder les gens éveillés parce qu’on passe plusieurs heures ici », explique le commandant Ian Lafrenière. Il signale que le CCTI ne possède aucune fenêtre pour éviter toute distraction ou tout « sentiment d’urgence » si les événements se déroulaient à proximité.
En fait, dit-on, tout est planifié pour que l’environnement favorise la concentration et une prise de décision éclairée.
Loin du chaos
Car c’est justement le rôle du CCTI : colliger et analyser les informations de toutes provenances susceptibles d’aider le commandant d’opération, l’ultime responsable des manœuvres policières.
Lors de notre passage, cette tâche incombait à l’inspecteur Philippe Pichet. Lui-même se tient en retrait à l’arrière du centre et ne participe pas au suivi de minute en minute de l’événement.
« De cette façon, je suis capable de prendre du recul, de voir s’il faut ajuster les stratégies, de juger s’il faut réquisitionner plus de personnel », dit-il.
L’inspecteur ajoute qu’il peut ainsi rester serein quand ça brasse : « Je ne suis pas dans le feu de l’action. Je ne me fais pas pousser, je ne mange pas de cailloux ; mon émotivité n’est pas aussi présente que celle de gens qui peuvent recevoir des choses par la tête. Je suis bien positionné pour prendre les meilleures décisions ».
Pour ce faire, il agit de concert avec le commandant de scène, un inspecteur qui suit de près les événements sur le terrain, et avec qui les stratégies d’interventions ont été préalablement élaborées.
Depuis le début des manifestations nocturnes, c’est le directeur du poste de quartier (PDQ) 21, l’inspecteur Alain Simoneau, qui a presque toujours porté ce chapeau.
C’est à lui que revient de déclarer la manifestation illégale et de prendre ensuite le pouls.
Ses observations et celles de ses troupes, couplées aux informations récoltées et validées par le CCTI, guident alors la stratégie qui sera appliquée : tolérance, dispersion de foule ou « extraction des éléments perturbateurs ».
Dracula
« On a un cadre à faire respecter sans violence », insiste l’officier, qui déplore que les casseurs se paient la traite.
« Il y a des radicaux qui profitent du chaos, c’est comme Dracula dans une banque de sang », lance Alain Simoneau.
Après 28 ans de service, il cerne bien toute la hargne à l’endroit des policiers dans le contexte actuel de mécontentement : « On est le punching bag dans cette circonstance-là, mais on l’est dans d’autres situations aussi, comme les sorties de bar à 3 h du matin ».
Reste que cette fois, c’est différent.
« On se fait dire qu’on est le bras agresseur du gouvernement », regrette-t-il.