Propos recueillis par Cécile Rocca.
A.T nous livre ici son parcours de vie, en espérant que cela pourra aider des personnes en difficultés.
Merci à elle pour son témoignage!
« Je n’ai plus qu'un lien avec une dame qui était dans le dernier centre avec moi. Pour les autres personnes croisées durant les années de galère, eh bien, la vie nous a séparés.
Chacun trace sa route, c'est sur, on fait tous comme on peut.
J’ai été à la DASS aussi. J’ai grandi à Galluis dans les Yvelines.
C’étaient des gens très gentils. J’y suis partie à 18 ans, et j’y ai été 15 mois.
J’avais 21 ans en 98. Je vivais en FJT (Foyer de Jeune Travailleur) et je ne m'en sortais pas financièrement. J'avais les dettes de loyers et j'ai dû partir. Je n’ai pas osé solliciter ma famille d accueil en Bretagne. Je l’avais quittée à 18 ans en pensant m’en sortir...
Je me suis retrouvée dans l’engrenage du sans-rien, du nulle-part...
C’est par un autre sans abri que j’ai commencé à aller dans les hébergements.
Il connaissait une association à Versailles qui aidait les sans abris. Je suis repartie à Versailles pour aller les voir. Ca s’appelait Stuart Mille* et comme le FJT était à Versailles, ils m’ont aidée...
Les foyers d’hébergements d’urgence, ce n’est pas facile : pour 5 jours, ou 8.
Le plus long que j’ai connu, c’est 15 jours à la Maison Verte, à St Germain-en Laye. Quand tu en sors, tu ne peux pas y revenir avant 3 mois… on se croise donc. Lui va là, tu l’as vu là…
Le déclencheur pour moi personnellement c’était la fatigue du rien-avoir et du nulle-part.
J’ai commencé à rentrer dans les foyers d’urgence, puis en CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale),puis en appartement Emmaüs par un bail glissant, et enfin un bail à mon nom.
En 2004, j’ai travaillé dans en Intérim basé au parc de la Villette et avant cela j’ai fait un mois de théâtre avec d’autres gens comme moi : le Théâtre du Fil dans le 91, à Savigny sur Orge.
Je n’y suis restée qu’un mois, car j’avais du mal à aller vers les autres, même avec la troupe.
Dans mon cas, toujours, au fur-et-à-mesure que j’avançais dans la réinsertion je m’y suis accrochée... ça n'a pas toujours été ainsi.
J’ai été au total 3 mois complets nulle-part, à partir d’avril à l’été 98.
Après c’était le cycle foyers d’urgence jusqu’à l’hiver 99 où je suis rentrée dans le CHRS parisien Le Fil Rouge.
C’est chez eux l’intérim social, refaire impôts, la carte d’identité.
Ce qui parait simple était compliqué pour moi... Je parle de mon cas, mon parcours et sentiments…
En CHRS, l’hébergement est à plus long terme que dans les foyers: un premier contrat de trois mois, puis à six mois, on se pose. L’urgence maximale n’est plus « où on va dormir ?»... Mais la suite. Oui, dans un CHRS, il y a un contrat d’insertion avec, pas comme en foyer d’urgence, donc c’est là aussi que j’ai pensé « avenir » car ce CHRS me proposait une chance.
Le contrat était de 3 mois, puis 6 mois et ainsi de suite. Je me réinsérais, j’avais un comportement calme, c’est un tout pour renouveler le contrat.
En fait quand j’étais arrivée au CHRS Le fil rouge j’étais timide et un totale manque de confiance.
Je devais partager ma chambre avec deux autres femmes.
Dans le CHRS, on était 6 femmes pour 12 hommes. J’y suis arrivée le soir du 14 décembre 1999.
J’avais 22 ans passés. Il neigeait et dans ma tête plein de choses comme "je n'y reste que 3 mois"… j’avais la trouille.
Renaissance, oui, grâce aux autres hébergés : on devait manger ensemble le soir à la même table, et grâce aux travailleurs sociaux qui ont été patients avec moi.
Je ne parlais pas au début. Je ne me suis pas mise de suite à remettre mon administratif en ordre, non: j’avais du mal pour les impôts et le reste.
Et je me suis éveillée grâce a une des dames avec moi doucement on est devenue amies... et avec les autres qui venaient me chercher pour le programme télé du soir... J’ai aimé Le Fil Rouge, les hébergés avec moi, les travailleurs sociaux... J’en garde un joli souvenir.
Je me suis éveillée dans mes discussions avec eux et au niveau vestimentaire j’ai changé. Enfin c’est eux qui m’ont aidée à la transition vers le logement social... Au début, bail glissant, bien sur, c’est normal "au cas où"...
J'avais décroché un emploi-jeune en juin 2001 pour 5 ans.
J’ai rencontré mon compagnon et père de mes enfants dans ce dernier centre...
Oui c’est là il est arrivé quelque mois après moi, et on s’est rencontrés là.
On continue la route maintenant mais je n’oublie pas. Je vois beaucoup de sans-abris par chez moi : ils me font écho à l’âme.
Ensuite, je suis sortie du CHRS: enfin j’avais décroché un emploi-jeune (ça existait encore) et ainsi j’ai pu partir en logement Emmaüs, via un bail glissant.
Je n’ai eu mon bail à moi qu’en 2004. Effet de confiance pour moi ! J’avais 27 ans.
Une nouvelle porte s’ouvrait... Mais je reste prudente, je ne rate jamais le paiement d’un loyer : c’est ainsi que je sauvegarde mes murs. Il y a des aides pour EDF et manger, mais être sans-mur non.
Aujourd’hui, croiser quelqu’un à la rue, c’est pareil : eux c’est moi je suis eux.
Je voudrais juste finir : quand on croise aujourd’hui les sans-abris, quand ils demandent de l’argent ou autre, et que nous-mêmes on ne peut pas, disons lui en face, et poliment. L’ignorance est le pire des mépris… Quand on lui dit, il reste un homme debout malgré sa situation, et si on donne une cigarette ou même un euro pour la personne, c’est un cadeau.
La manche n’est pas une facilité et beaucoup ne la font même plus. C’est le désespoir du pauvre que de devoir faire l’aumône».
Propos recueillis par Cécile Rocca
Photo de Nadal Deh
*Le CHRS Stuart Mill délivre un accompagnement social aux familles ainsi qu'aux femmes avec enfants, en difficultés sociales.
31, rue de l'Orangerie
78000 VERSAILLES
Tél. : 01 30 84 11 80
Fax: 01 30 84 11 83