Les débats publics sont souvent encombrés par la rhétorique. Le débat actuel sur la « croissance », opposée à l’austérité, n’échappe pas à la règle. Étant donnée la dimension péjorative du mot « austérité », le biais en faveur de la « croissance » (qui sonne au contraire de manière très positive) est quasiment automatique. Pourtant, derrière le « mot magique » de croissance, se cachent différentes choses et différentes conditions. Or, ceux qui brandissent les politiques de croissance contre la « stupidité » de l’austérité ont peut-être oublié quelques éléments sur la croissance justement.
Qui ne voudrait pas de la croissance (en dehors de quelques partisans de la décroissance, dont M. Mélenchon) ? Mais la croissance ne se décrète pas à coups de « mesures de soutien ».
Soutien budgétaire ?
Quand elle vient exclusivement de la dépense publique, elle asphyxie peu à peu l’économie (56,2% du PIB de dépenses publiques en France) et hypothèque au surplus notre avenir avec un irrésistible endettement public (85,8% du PIB en France). Or, au beau milieu d’une crise fantastique de l’endettement public, les idées de Plan Marshall ou de politique à la Roosevelt réapparaissent.
On oublie souvent que la France pratique la relance keynésienne permanente depuis quatre décennies. Pourtant la théorie keynésienne pose que les déficits publics permettraient de maintenir une certaine demande globale en période de récession et de soutenir l’activité et que l’augmentation des recettes fiscales en période d’expansion annulerait ensuite les déficits. Sauf que depuis 40 ans la France n’a que des déficits.
La solution toute trouvée par nos hommes politiques aujourd’hui est de déplacer le problème à un niveau supérieur : l’Europe. Comme si, ce qui ne marchait pas au niveau national et a engendré les catastrophes actuelles, allait soudain, comme par magie, fonctionner au niveau européen, grâce à la solution du « fédéralisme ». Le caractère incantatoire de cette dernière est renforcé par un autre mot magique : solidarité. Entre alors en scène l’idée des eurobonds. Afin que les erreurs que nous faisions seuls soient démultipliées en les faisant à plusieurs ? Et ce, d’autant qu’au plus l’on s’éloigne du contrôle du citoyen dans l’échelle politico-administrative, au plus la dilution des responsabilité est grande, au plus le nombre de décisions prises « avec l’argent des autres » est grand, et donc au plus la gouvernance est mauvaise : le cas du sauvetage Grec l’a amplement démontré.
Les grands travaux reviennent sur la table avec la BEI et quelques 200 milliards d’investissement de « relance ». Alors qu’il n’y a plus d’argent... Donc de nouveaux et dangereux schémas de financement avec effet de levier sont échafaudés : c’est le retour des subprimes. A croire que nous ne sommes pas dans une crise de la dette !
Soutien monétaire ?
Quand la croissance provient du stimulus monétaire, elle est généralement bullaire, comme les USA ou l’Espagne l’ont bien montré durant les années 2000. Voilà un siècle exactement, en 1912, un économiste autrichien, Ludwig von Mises, publiait une Théorie de la monnaie et du crédit dans laquelle il notait les effets destructeurs à moyen terme des politiques d’argent bon marché : ces dernières créent des bulles artificielles qui éclatent à un moment ou à un autre. Ces politiques, réclamées à corps et à cris par nos politiques depuis décembre, sont ainsi à l’origine de nombreuses crises économiques, et précisément de la crise actuelle.
Après ses programmes de rachat de dette publique de mauvaise qualité, la BCE a récemment injecté plus de 1000 milliards d’euros dans le système bancaire européen, en échange de collatéraux souvent d’une qualité tout aussi douteuse. Pour quel résultat ? Le système bancaire à la dérive, notamment du fait de sa collusion avec le politique qui l’a sommé d’acheter des dettes publiques, a été temporairement sauvé. Ou plutôt lui a-t-on permis de ne pas réellement se réformer et de ne pas avoir à subir les restructurations majeures qu’il aurait dû opérer. Mais les banques ne prêtent pas davantage à l’économie réelle.
Enfin, le débat ces derniers jours mentionne à nouveau la valeur de l’Euro qui serait un handicap à la compétitivité des pays du Sud. Comme il l’a été depuis quelques années. Baisser la valeur de change de l’euro ? Sur quelle base ? Les pays du Nord de l’Europe ne vont-ils pas en souffrir ? Les importations, notamment en pétrole, ne vont-elles pas se renchérir ? On comprend le problème. C’est le même que celui de la politique monétaire (taux d’intérêt) unique, « moyenne », qui a été d’un côté un mécanisme de génération de bulle dans les pays à forte croissance, et d’un autre côté d’atonie dans les pays à faible croissance. Lorsque l’on force toute une population à porter de la taille 38, il est évident que la majorité se retrouve dans un carcan ou avec des vêtements trop grands.
Il est curieux que dans un tel contexte l’Euro reste toujours une vache sacrée. Non qu’il faille absolument s’en débarrasser pour revenir aux monnaies nationales : il faut sortir du monopole monétaire, cause majeure des déboires européens actuels. La liberté monétaire permettrait à chacun, au niveau microéconomique, de trouver la meilleure solution à ses problèmes.
La croissance saine, durable, provient d’un long processus capitaliste de division du travail. Elle vient du fait que les gens se retroussent les manches, elle requiert des vraies entreprises qui créent de la valeur pour de vrais clients. L'impasse de l'endettement public étant écartée comme option, cela nécessite alors de permettre plus de liberté entrepreneuriale, de simplifier et assouplir les codes du travail, pour que les gens puissent enfin choisir la solution la moins mauvaise pour eux, plutôt que d’être enfermés dans un carcan réglementaire qui en fait soit des « protégés » soit des « exclus ».
En ces temps difficiles, il faut maximiser la souplesse pour la recherche de solutions « en bas ». Certainement pas créer de coûteuses nouvelles illusions « en haut ».
Emmanuel Martin - Le 2 mai 2012 - Emmanuel Martin est analyste sur www.UnMondeLibre.org